Mademoiselle adams

 

Volutes d'eau turquoise, comme une eau d'été ou plutôt, une eau de lagune sous les lointains tropiques. Car en été chacun s'y attend, l'eau du fleuve est de verre,si claire que la moindre mue d'écrevisse saute aux yeux, détail incongru par plus d'un mètre de fond…

C'est cela qui rend l'humeur du touriste pêcheur si lasse, et pose au manieur de fouet local le plus passionnant des défis. Celui là pêche tranquille, il a cet avantage sur l'autre d'avoir oublié depuis mars le montant acquitté. Mais pour l'heure pas d'été, dernier mois de répit qu'offre un niveau de printemps, qui "tire" entre deux fontes de neige.

Il fait encore un peu frais à l'ombre du grand arbre qui penche sur ce lisse, départ de mon parcours hebdomadaire. En face, la paroi m'interroge : où est ta première truite, en bordure de ce petit courant que le flux vomit patiemment, à tes pieds sur le sable d'or de la rive tranquille ? La réponse tarde, je m'applique avec plus ou moins de succès au coup droit sur de minuscules postes. Rien ne monte et du reste, rien ne crève la surface …j'avance. Deux de mes plus beaux montages perdus dans le décor narquois, la petite branche grêle au beau milieu de la rivière se gausse de mon "mending" foireux, et tout comme elle avant, une frondaison qui vit devenir "cloche" un étrange lancer roulé.
Minable, le scion rafistolé de ma 9'/5, à l'aide d'une fine bague de carbone cyanolitée. Boucles désordonnées, mauvais timing, le bas de ligne est à raccourcir, je doute soudainement de mes imitations et ne sais plus à quelle mouche confier ma destinée.

11heures bientôt. Le soleil trouve un passage par dessus le haut des gorges, chauffant mon épaule tendue. Je change de poste, décide de faire une pause. Mon regard plonge dans le bleu de la rivière. Là, quelques zébrées maraudent dans le mort d'une retourne. J'ai bien fait de me poser, sans quoi j'aurais pu les manquer, passant sans même apercevoir. Il faudra se couler le long du muret, placer doucement un pied sur l'appui stable qu'offre la racine du chêne. Calé contre son tronc je risque deux mètres de canne au dessus de l'onde, réussis avec l'aide d'une brise salutaire un posé courbe. Dès lors, la surface se déride, les belles ont disparu…

Autre temps, autre poste : ici la configuration est moins scabreuse. J'observe une activité sporadique en queue de quelques remous tumultueux. A genoux sur une dalle de schiste faiblement immergée, je noue à la pointe recalibrée une petite Adams de ma confection. Planqué derrière mon bloc, je tente de faire parvenir l'imitation jusqu'au gobage prometteur. Rapidement, la dérive prend une tournure aval et j'ai la sensation de ne plus pêcher juste. Je n'ose même pas arracher, préférant récupérer le long de la berge ce que j'ai donné de soie
. Encore un essai, " plic !" dans les premiers mètres! S'il te plait, ne te décroche pas. J'avais déposé un rien trop loin, mademoiselle Adams en dehors de son chemin d'eau. Comme dans le même instant je voulais relancer, Je ne saurais dire si j'ai vraiment ferré. J'ai tiré doucement sur la soie, bonne fille docile, elle n'a pas trop lutté. 20,23, qu'importe. Le centimètre n'a pas sa poche dans mon gilet, il y a des encoches sur le liège.

                                                                                                            

A l'heure des ombres nulles, je rendais à l'eau vive son bien le plus précieux. La vie même, parée de vermillon et d'éclats de soleil. Le bruit de l'eau change, la rivière s'éveille. Au chemin du retour, j'observe ce gobage. Dégustant les fruits mûrs du cerisier sauvage.

                                                                                                                                               Coch, chevalier y bondhu.