Le « doryphore » de mes treize ans.
J'avais treize ans. Le Vicdessos coulait ses eaux cristallines sous la fenêtre de ma chambre. Il séparait mon habitat du collège où je passais le plus clair de mon temps.
J'aimais les cours de français. Je pouvais m'évader. Du fond de la salle de classe, on entendait le clapotis des flots, les galets s'entrechoquant......... et quand la rivière roulait de toute son eau, le grondement des pierres était mon échappatoire.
Il faisait bon vivre dans ce village cerné par de gigantesques parois rocheuses. Mes semaines étaient bien ordonnées : le mercredi après-midi c'était entraînement de rugby. Le samedi matin, catéchisme......... et on oubliait tout ce que les curés nous apprenaient dès le repas fini....... on jouait aux hommes sur les terrains, qui serait le plus fort, qui enverrait la plus grande "castufle" pendant le match.........
J'allais bien me promener sur les bords de l'Ariège ou du Vicdessos, canne dans une main et asticots dans l'autre. Il y avait des truites à cet endroit, des truites comme vous n'en avez jamais vu. Des truites grosses comme ça, des dizaines de truites toutes plus dodues les unes que les autres !
,
Et un jour, il y eut cet homme. Un « doryphore » comme on les appelait. Un putain de Toulousain qui venait "avoiner", comme les autres. Ils repartaient toujours avec de pleines musettes ces cons là !Je le vis sortir de son automobile flambant neuve.
Je l'épiais par delà la fenêtre du dernier rang de la classe, le maudissant pour toutes les saloperies qu'il allait laisser sur les berges, boîtes de plomb, mégots de clopes, sachets d'hameçons vides,….jurant de le foutre à la baille à la moindre occasion.
**********
Mais cet homme n'était pas comme les autres. Il sortit du coffre un fourreau. Il monta une canne, un de ces moulinets que je ne connaissais pas. Il glissa un fil vert dans les anneaux de sa gaule puis noua un de ces je ne sais quoi.
Rentrant doucement dans cette rivière que je connaissais comme ma poche, il ne pourrait certainement pas prendre de poissons à cet endroit précis. C'était ma plage, celle qui m'avait procuré tant de plaisirs quand je glissais mes bras sous les rochers à la recherche de cette douce sensation glissante quant une truite est accablée par la peur au fond de sa cache.
Puis, il commença son manège. Son fil allait et venait. Tout cela dans une douceur entraînante. Il était au beau milieu de ma plage et il se fondait dans le paysage. Une truite, puis deux et trois...... Toutes repartaient à l'eau après une rencontre fugace avec le monde du dessus.
Après les cours, je me suis penché sur la passerelle et je l'ai regardé longtemps. Trop longtemps peut être....... Quelque chose en moi avait changé. J'ai été le voir, nous avons discuté..... Qu'en auraient pensé mes amis montagnards s'ils m'avaient vu ? J'imaginais les railleries :" Ho le Seb il va discuter avec un Doryphore !!!!! C'est pas possible". Mais je m'en foutais. Nous avons longtemps palabré. Quand je suis rentré à la maison, j'ai dit à mes parents que je voulais une canne à mouche si j'obtenais mon BEPC.........
**************************
..
Puis, j'ai monté le son de ma chaîne HIFI et j'ai écouté un morceau des Cure.......
"Just Like Heaven" (« Comme le Paradis »)
dont les premières paroles résumaient presque toute mon envie :
"Show me, show me, show me how you do that trick"(« Montre moi, montre moi, montre moi comment tu fais ce tour…. »)
Sebastien
|