Fernand Dupuy: Pêcher la truite vagabonde
1992

 

                                                

Ravissant petit livre édité pour la première fois en 1982, illustré de nombreuses photographies noir et blanc, frais, gai, plein de légèreté, d'humour et de poésie écrit avec talent par un véritable amoureux de la truite et de sa pêche à tous les appâts naturels!

L'auteur

Né le 02.03.1917 à Jumilhac-le-Grand (Dordogne) DCD 1999- Instituteur Communiste il est décédé en 1999 après une belle carrière d'homme politique, secrétaire de Maurice Thorez de 1948 à 1951, membre du Comité central du PCF de 1947 à 1964, Maire de Choisy-le-Roi de 1959 à 1979 et député de la Seine, puis du Val-de-Marne (1962-1978).

Mon opinion

Ce livre est fait d'une suite d'historiettes toutes plus jolies les unes que les autres dont les titres eux mêmes font déjà sourire et rêver: la truite et l'écureuil, l'ouverture ratée, le père truitard, la truite du curé....le braconneur, j'ai rendez vous avec elle...suivies d'un petit traité de pêche à la truite puis d'une analyse des différentes techniques de l'auteur.... A lire absolument car cet ouvrage vous rendra le sourire, quelles que soient vos contrariétés du moment.. !!

                                                                                                                             Extrait

                                                                                                             La truite et la belle Lavandière

Elle est coquette ma lavandière. Je l'ai vue lisser longuement les plumes de ses ailes, les plumes de sa queue; je l'ai vue s'ébrouer dans une petite cascade puis s'admirer longuement comme font les belles devant leur miroir en jouant de la prunelle... et chanter dans les rayons du soleil, chanter son tsi, tsi, tsi, tsi et tsie tsie rie rie tsi tsi tsi rie rie rie... Chante, chante, jolie lavandière puisque tu as le cœur gai... Elle chante pour celui qu'elle aime. Car elle n'est pas seule sur le territoire de son ruisseau.
Une truite y a aussi élu domicile (de la cascade qui marque le tournant de la prairie jusqu'au long courant dans les herbes d'eau qui prolonge le profond remous sous le gros rocher)... Nous nous connaissons bien, cette truite et moi, depuis longtemps. J'ai essayé dix fois au moins de la prendre mais sans jamais y parvenir. Il faut dire qu'en arrivant auprès de ce « territoire », je suis bien plus préoccupé d'admirer la lavandière que de pêcher la truite. Je dois avouer d'ailleurs qu'entre l'une et l'autre, je n'ai fait longtemps aucun rapprochement. J'admirais la lavandière; sa fine tête d'un très beau gris ardoisé, son jabot noir et son ventre jaune vif; je l'admirais courant sur le sable au bord de l'eau, sautillant d'un rocher à un autre; je l'admirais tout simplement: pour sa beauté, pour son élégance et sa finesse, pour ses couleurs et pour ses trilles.
Je l'admirais... lorsqu'un jour je fus fort intrigué par son comportement étrange. Elle s'était posée sur un petit rocher qui émergeait de l'eau, tout juste devant le grand remous, quand tout à coup, elle se mit à tourner en rond sur le rocher, la tête penchée vers l'eau. Elle tournait, tournait, tournait la belle lavandière, vite, de plus en plus vite. « Tiens», pensai-je, « voilà l'instant de petite folie de la bergeronnette». Mais en observant l'eau, quelle ne fut pas ma stupéfaction de constater qu'elle était agitée du même mouvement circulaire que celui de la danse de la lavandière. L'eau tournait au rythme de la ronde de l'oiseau. La truite? Oui, c'était la truite. La truite qui tournait autour du rocher, la truite qui dansait avec la lavandière. Je n'en croyais pas mes yeux; j'admirais, ravi. Brusquement, la lavandière arrêta sa course folle. Elle pencha la tête vers l'eau. La truite aussi arrêta son manège et il me sembla qu'elle sortait la tête de l'eau. Mais je voyais mal; je n'étais pas bien placé. Que se passait-il exactement à la fin du ballet? la truite et la lavandière se parlaient? Elles s'embrassaient ? Je revins souvent au rendez-vous de la cascade jusqu'au jour où je surpris le secret. Voilà ce que je vis:

Après le ballet habituel, la lavandière bien plantée sur ses longues pattes, inclina la tête jusqu'au ras de l'eau à droite, puis à gauche, sa queue servant de balancier, elle semblait dire à la truite: « Assez maintenant, je suis sâoule d'avoir tourné». La truite alors sortit la tête de l'eau, ouvrit la gueule toute grande... et la lavandière se mit à picorer dans cette gueule de fauve; à picorer quelques larves aquatiques, quelques mollusques ou quelques insectes à moitié digérés et que la truite regurgitait pour sa belle lavandière. Trois fois j'ai vu cette scène exceptionnelle Trois fois je suis rentré bredouille de la pêche... « Tu n'a rien pris ce matin? « Non rien. Je n'ai rien pris ». Je n'ai rien pris! Comment expliquer que bien plus que quelques truites dans mon panier de pêche, c'est une pêche merveilleuse que j'ai faite ce matin. J'ai découvert un trésor inestimable: les amours d'une truite et d'une lavandière. J'en ai encore, des mois après, plein les yeux et plein le cœur. C'est ça aussi, et peut-être par-dessus tout, la pêche à la truite.