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   William 
Humphrey: La course amoureuse 
   *********************   Ce 
soir, je parcourais le volume de l'année 1934:  
le 18 juin 1934 dit l'amiral, voilà un jour que je n'oublierai jamais, 
et pourtant vous n'en trouverez pas trace dans ce volume.  J'avais 
tiré le numéro six pour mon parcours de ce jour-là. C'était un jour pluvieux, 
le baromètre à 76,2 et fixe, le vent venait de l'ouest à quatorze kilomètres-heure, 
avec des rafales allant jusqu'à plus de vingt. Ma canne était une Leonard longue 
de treize pieds, avec un moulinet Hardy 6/0. Ma ligne était une soie King Eider 
attachée à quatre-vingt-dix mètres de réserve d'une résistance de trente livres, 
avec un bas de ligne décroissant qui se terminait en 50/100. Je pêchais avec une 
Silver Wilkinsoni 2/0, ayant observé dans la rivière des quantités d'alevins de 
chevesnes qu'imitait le mieux ce modèle, et de cette taille-là. Il était exactement 
midi au clocher de Uan.....dwwy quand une touche a failli m'arracher ma canne. 
 Dès le début, ce poisson-là 
s'est comporté de la façon la plus étrange. Vous le savez, Humphrey, une fois 
accroché, on peut généralement s'attendre à ce que le saumon file dans la direction 
à laquelle il fait invariablement face, à cause du rhéotaxisme, qu'on appelle 
aussi rhéotropisme, c'est-à-dire qu'il remonte vers l'amont.   
             Ce 
poisson-là n'est pas allé une seule fois vers l'amont; il a filé constamment, 
et à une vitesse constante égale à celle du courant, vers l'aval. En quelques 
instants, il avait dévidé ma ligne et les trois quarts de ma réserve. J'ai exercé 
toute la pression qui me paraissait possible, en poussant le gros bout de ma canne 
et en tendant le gut autant que je pouvais sans qu'il casse. Pas question de lui 
faire faire demi-tour ou de le sortir de l'eau. Collé au fond de la rivière, il 
filait tout droit en aval comme s'il était décidé à regagner la mer. Je ne pouvais 
pas récupérer un centimètre de ma ligne et je n'osais pas lui donner un centimètre 
de plus qu'il n'avait déjà. Il n'y avait qu'une seule tactique possible: avancer 
dans l'eau avec lui, en exerçant une pression constante jusqu'à ce qu'il se fatigue.
   
Nous étions, comme je l'ai dit, près de l'église de Uan........wy, sur 
le parcours numéro six, et il était très exactement midi. A deux heures et demie, 
nous sommes passés devant les ruines de l'abbaye de C.........ch, et je n'avais 
encore pas récupéré un centimètre de ma ligne. Cela nous avait fait passer bien 
entendu par les parcours sept, huit et neuf, où l'un après l'autre, mes bons amis 
le révérend Smythe-Prestwick, qu'il repose en paix, le colonel Watson et Mr. Finchley 
avaient très obligeamment retiré leurs lignes et s'étaient retirés eux-mêmes de 
la rivière pour permettre à mon poisson et à moi même de passer. 
  Bien 
que ma canne fût courbée en demi-cercle, le poisson continuait à filer sans 
se lasser. Je commençais à me dire que je l'avais peut-être accroché par le dos. 
Nous avons dépassé les villages de M........r, Upper ........bryn, Lower ........y-bryn 
et B.....dû, et nous dépassions le Royal Welsch Fusiliers - c'est un pub - à environ 
huit kilomètres de notre point de contact, quand je sentis enfin qu'il commençait 
à faiblir. Je me suis mis alors à rembobiner régulièrement et, quelque sept cents 
mètres plus loin, je l'ai vu pour la première fois. Ou plutôt, je les ai vus. 
Car, à mon ahurissement et à ma grande joie, j'ai découvert que je n'avais pas 
attrapé un, mais deux gros poissons, un à chacune des deux branches de l'hameçon. 
C'était un événement tout à fait rare, même dans la vie d'un pêcheur très expérimenté, 
et je décidai donc de les faire naturaliser côte à côte, joue contre joue, se 
partageant la mouche. 
 ********************** Je 
finis par les atteindre avec ma gaffe, et à sept heures trente-quatre je tirai 
de l'eau la plus grande paire de waders que je crois avoir jamais vue dans ma 
vie. 
 
 _fichiers/wa.jpg)  Je 
me suis dit sur le moment que l'homme qui en était sorti devait bien peser plus 
de cent kilos. Et je ne m'étais pas trompé, car deux jours plus tard mon bon ami 
le colonel Watson, qui pêchait sur le parcours numéro deux, l'a accroché avec 
une Black Dosei' 4/0.                                               _fichiers/image28.gif)    
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