Autopsie d'une truite

P Koeberlé et N Robert

(Coxigrue 2011)

                                                

 

Le livre

Il ne s'agit pas à proprement parler d'un "Livre de pêche"...mais bien d'un "polar", qui a cependant pour cadre la vallée du Dessoubre dans le Haut doubs et comme acteurs un trio d'amis d'enfance tous trois pêcheurs à la mouche aussi acharnés que talentueux, d'où sa présentation ici....!

L'intrigue est bien montée: après "détricotage" d'une histoire finalement simple qui se rapporte à des évènements historiquement authentiques, le puzzle qui démarre à partir d'un évènement, comme souvent, assez marginal (surprenante découverte dans l'estomac d'une truite..) se reconstitue au fil des pages jusqu'au "bouquet final"...construction classique mais pourtant originale dans son argumentation et parfaitement écrite dans un français irréprochable.........et on est "pris"....!

Contrairement à mon habitude, je vous offre ci dessus le "Quatrième de couverture" si souvent exagérément élogieux car concocté par l'éditeur pour "faire vendre"....mais celui ci , honnètement, est parfait à mon sens......alors pourquoi s'en priver??

 

L'auteur (cliquez pour lire la vidéo de son interview)

                                                                                                           

Philippe Koeberlé, 54 ans, est médecin anesthésiste réanimateur et bisontin (comme le médecin pédiate JP Pequegnot auteur d'une "bible" de la Palm dans les années 1970) manifestement passionné par la pêche à la mouche, sèche exclusivement, depuis plus de 20 ans..et par la nature encore relativement préservée de la vallée du Dessoubre, mais qu'il est nécessaire de protéger .. raison pour laquelle il est très impliqué au niveau régional  dans la lutte contre la pollution des rivières comtoises

Il signe ici, associé à un autre bisontin Nicolas Robert, scénariste....son premier ouvrage... .mais le second est en route....tant mieux!.

 

Mon opinion

Le polar est parfaitement réussi, rien à dire ...et moi qui ne suis pas un "inconditionnel" du genre....j'ai été captivé ....mais ce qui m'a séduit par ailleurs , c'est l'écriture simple, légère et facile pour le lecteur, le style fluide comme le cours du Dessoubre, ...dignes d'un véritable "ecrivain"..., et puis le justesse du rendu de l'ambiance de la vallée du Dessoubre que je connais bien pour l'avoir beaucoup pêché lors de ma jeunesse Franc comtoise.., tout comme la finesse de l'approche de la personnalité des francs comtois eux mêmes..au point que je m'y suis senti "comme chez moi" devant une croûte aux morilles et un verre de vin jaune...malgré un éloignement de plusieurs décennies..

.L'ensemble "fleure bon"  le haut Doubs, le Dessoubre omniprésent et ses poissons..et si la pêche n'est pas l'élément "majoritaire" eu égard au nombre de pages.....la description du "combat" de Severin contre "la grosse du virage des carrières" est un véritable morceau d'anthologie qui ne pouvait être écrit que par un "VRAI" pêcheur à la mouche et je n'ai pas résisté au plaisir de vous en faire profiter à travers l'extrait ci dessous..................mais auparavant je vous communique l'opinion d'un autre écrivain, Joan Miquel Touron, auteur de" La belle histoire de la pêche à la mouche", qui éclaire d'une lumière particulière la couverture qui reproduit un tableau de Courbet.......

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J'ai aimé ton bouquin, j'ai beaucoup aimé le mélange d'un drame rural et d'une enquête policière moderne en nature-writing ! la couverture est superbe j'adore Courbet , ses scènes de chasses , ses trois tableaux de truites pêchées par les enfants famille Ordinaire ! j'avais écrit ça avec les illustrations qui vont avec :

A sa sortie de prison, Gustave Courbet se réfugie dans son havre de paix à Ornans. La famille Ordinaire l’invite à passer quelques jours à Maizières. Là, les fils de cette famille capturent, à la ligne, des truites extraordinaires. Courbet est un passionné de chasse, très au fait de tout ce qui touche la nature sauvage. Il écrit à un de ses amis « … neuf livres, des truites énormes pour cette rivière » et dans une autre lettre « … il faut que je me dépêche de peindre cette commande de truites, ils verront ce qu’est la prison ». Car Courbet dans cette nature morte exprimera sa propre détresse et son désespoir. Dans un autre courrier il explique : que de maux depuis vous, que de tourments, que de souffrances, que de fois j’ai échappé à la mort et aux mains de ces cannibales ! ils m’ont entraîné la chaîne aux mains dans les rues, ils m’ont enfermé dans les cachots, etc., etc., impossible de tout ». Le fil qui dépasse de la gueule de la truite est cette même chaîne qui le fit tant souffrir. Ces truites ont perdu toute beauté dans la souffrance et la mort, il ne reste que des corps flasques, ternes et obscurs. Sur ce tableau (il en existe trois), le poisson est encore vivant mais sa vie s’échappe lentement de ses ouies sanguinolantes. A comparer avec l’espoir qui se dégage de la fuite d’un poisson plein de vitalité et de force dans l’oeuvre photographique de Nicolas Germain. Il n’est pas, je pense, meilleur plaidoyer pour le No Kill

Courbet a fait partie du gouvernement de La Commune, il a été accusé d'avoir fait détruire la colonne Vendome, lorsque les réactionnaires reprendront le pouvoir , ils l'emprisonneront , non sans l'avoir humilié en le traînant dans les rues enchaîné, ses conditions de détentions seront si dures qu'une fois libéré , il en mourra , la famille Ordinaire , l'a recueillit en convalescence à Ornan comme quoi tout se rejoint Encore une fois j'ai beaucoup aimé ton livre ! il trône dans ma bibliothèque avec les meilleurs nature-writing américain de "l'Ecole de Missoula" !

 

"

                                                                                                                                                                                                            JM Touron

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".......................Malgré ses yeux habitués à percer les eaux, il lui faudrait plus de lumière pour savoir si c'était "sa"truite. Il descendit lentement la berge, et se glissa doucement sans faire de vaguelettes dans l'eau. Nouveau rond. Il ne voyait toujours pas, mais celui-là était sur le trajet habituel de la grosse truite. Il y avait d'autres gobages mais il ne voyait aucune mouche. Ie jour se leva tout doucement, et il vit que c'était bien la grosse truite qui était dehors. De temps en temps elle gobait, parfois il apercevait seulement sa dorsale qui effleurait la surface. Au fur et à mesure que le jour augmentait, il avait I'impression que la truite s'activait de plus en plus, en surface, sous la surface, avec des remous de plus en plus gros. Il ne voyait aucune mouche, mais d'autres gobages le long du bord, après le petit ruisseau des carrières qui crachait une eau toute jaune. Dire que la veille il n'y avait plus qu'un filet d'eau ! La truite gobait enfin, et il ne savait pas quelle imitation accrocher au bout de son bas de ligne. Garder son calme et observer, ne plus regarder le poisson mais l'eau et les insectes en surface! Séverin se concentra sur la surface de la rivière, mais le jour naissant ne facilitait pas les choses. la truite goba une nouvelle fois, violemment. Incroyable- Il y avait quelque chose d'anormal. Elle ne prenait pas des mouches, jamais il ne l'avait vue aussi active. Mais il savait aussi que ça n'allait pas durer. Il fallait qu'il trouve- Il n'allait pas se laisser berner une fois de plus par cette masse de muscles qui ne fonctionne qu'à l'instinct. Il mit ses deux mains en travers du courant pour essayer de capturer des mouches, et c'est alors qu'il vit une sauterelle s'accrocher sur sa paume. Puis une autre. Des sauterelles. Bien sur, la pluie les avait fait sortir et les avait entraînées dans le ruisseau qui les déversait dans la rivière et la truite, vivifiée par l'eau rafraîchie se gavait des sauterelles qui dérivaient sous l'eau et sur l'eau, certaines mortes, d'autres se débattant encore. Des sauterelles ! I1 avait au moins deux cents mouches artificielles sur lui mais aucune imitation de sauterelles. Cette truite était diabolique, elle n'était dans cette rivière que pour le tourmenter. Impossible de rentrer chez lui monter une imitation de sauterelle, lorsqu'il reviendrait le soleil serait trop haut. Et une telle occasion n'était pas près de se représenter. C'était peut-être sa dernière chance de prendre cette truite, qu'il pistait depuis plus d'un an. Il accrocha une grosse peute, mouche à peu près de la taille d'une sauterelle, mais pas du tout de la même forme ni de la même couleur. Premier posé, premier passage, la truite ne se déplaça même pas pour aller voir I'artificielle. Peut-être ne l'avait elle pas vue. C'était son seul espoir. Il la voyait bien maintenant et il observa son manège. Elle ne prenait que les sauterelles qui se débattaient. Elle voyait mal, comme souvent les vieux poissons, c'était sa chance, et cela expliquait pourquoi elle avait si peu mouché cette année. l,es vibrations l'attiraient plus que la forme de I'insecte. I1 mouilla sa mouche avec de la salive pour qu'elle coule légèrement, posa un peu au-dessus de la truite qui venait de gober encore et quand sa mouche arriva à hauteur de la truite, il exerça quelques légères saccades sur son fll pour donner à sa mouche l'allure d'un insecte qui se débat, le gros poisson se déplaça immédiatement et attrapa franchement I'artificielle, cette fois il attendit quelques dixièmes de seconde avant de ferrer et lorsqu'il tendit brutalement sa canne la truite était au bout..................."

N'hésitez pas à l'acquérir ...pour 18 euros....c'est pas cher payé les vrais moments de bonheur qu'il vous apportera!!

On en parle même jusqu'au Canada!!

 

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Le sorcier d'Ornans

P Koeberlé

(Coxigrue 2012)

 

Le livre

Ce polar n°2 est aussi réussi que le premier au bord du Dessoubre, et se passe cette fois dans la vallée de la Loue et la ville mythique de Ornans où résida Courbet qui "fait partie de l'histoire", en compagnie du trio de l'autopsie que l'on retrouve avec plaisir car ce sont déjà des familiers...

 

Mon opinion

L'intrigue est toujours aussi bien "ficelée", alors que les premières lignes retracent, comme dans l'autopsie, l'évènement lointain à l'origine du drame d'aujourd'hui, le déroulement en est ensuite classique avec une progression régulière dans le suspense, jusqu'à l'aboutissement !

Si le scénario est inventé de toutes pièces, ce qui ne l'empêche pas d'être pardaitement plausible, les références historiques sont authentiques.

On retrouve ici, outre la fluidité du style et la perfection d'une langue très sobre, une description très fidèle de l'ambiance de la vallée de la Loue et  des personnages pris sur le vif  "plus vrais que nature"! Les nombreuses références aux lieux existants et les allusions à des personnalités contemporaines Franc Comtoises bien connues dans le milieu des pêcheurs à la mouche et dont les noms sont à peine modifiés, renforcent cette impression de familiarité de très bon aloi....et chacun se sent un peu chez lui avec Severin, son p'tit mouge et "le professeur" sur les bords de la Loue qui, à leur grand désespoir, "souffre des hommes"  comme en témoignent ses poissons!!
La pêche à la mouche , "péché mignon" de l'auteur, est encore ici bien présente même si les protagonistes n'ont pas le loisir de s'y adonner pendant l'enquête, à travers les mouches du sorcier Besson et sa canne en refendu, en quelque sorte "personnage principal" de l'intrigue : "..
......" Ne me remercie pas, c'est à moi que je fais plaisir en sachant que cet objet qui m'est cher vivra encore. Et il peut t'apporter beaucoup. Beaucoup plus que tu ne peux l'imaginer si tu sais le comprendre et percer ses secrets."

Investissez sans hésiter les quelques 18 euros pour suivre Severin dans son enquète, .....le "voyage" que vous propose P Koeberlé les vaut très largement!!

De source bien informée, le troisième serait déjà en gestation.......chouette!!!!

 

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  06/01/2013: Philippe

PS : "après les achats de Noel rupture de stock de sorcier et de truite ! 700 ex vendus en décembre !"

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25/02/2014! PK:

"le sorcier d'Ornans, viens de recevoir le prix de littérature régionale du LIONS club centre est. Il est maintenant en finale nationale, avec invitation au salon du livre de Paris 2014."