J. de Lespinay: si vous prenez la mouche...

                                                                                                                                      ( La Simarre  1995 )

 

                                                                     

Le livre: Récits et nouvelles , à Argentat et ailleurs. La plupart de ces récits ont été publiés dans "Connaissance de la pêche"

L'auteur: Il a écrit deux livres, dont le manuel français de référence en matière de construction de cannes à mouche en bambou refendu.:"LA CANNE A MOUCHE TRAITE PRATIQUE DE CONSTRUCTION ET D'HABILLAGE DES CANNES A MOUCHE"

Mon opinion: Très joli style , beaucoup d'humour, sympathique autodérision dans les aventures "vécues" et belle imagination pour "inventer" des anecdotes pourtant plus vraies que nature et dénoncer certaines faiblesses et absurdités dans la gestion de nos rivières....!
Un petit ouvrage facile à lire, en souriant souvent, en riant parfois, un excellent moment de détente en compagnie d'un "collègue" qui pêche et connait bien la Dordogne............On s'y croîrait!!N'hésitez pas...si vous le trouvez...

                                                                                                                                      Extraits

Il n'a pas fait attention, sous les frondaisons proches, à un couple de pique-niqueurs flanqués de leur fils, et installés dans une mastication appliquée. Robert les eut remarqués plus tôt si la science, qui fait des miracles, n'avait décidé que leur autoradio serait en panne ce jour-là, ce qui les laisse tout rêveurs et désemparés, un peu angoissés même. N'entendant plus autour d'eux battre la pulsation indispensable à leur existence, cette diarrhée sonore qui émerge du tronc commun de la musique dite " d'ambiance ", ils sont en manque, et ne semblent plus très sûrs que leur propre cœur bat encore. Ils se sentent un peu seuls dans la nature hostile, au bord de cet étang perdu à plus de deux cents mètres de la nationale dont le bruit lointain les rassure un peu, de même que la vue toute proche d'un caddie de supermarché à demi enfoui dans la vase de bordure.

                                                                                                                              ********************

Bon sang, mais qu'il f... le camp! Pourquoi ne s'en va-t-il pas, pourquoi ne laisse-t-il pas la place aux vrais pêcheurs, qui lui montreraient ce qu'il faut faire? Ce type m'exaspère, et j'ai grande envie de le noyer, comme ça, pour en débarrasser le paysage halieutique... Les gobages s'intensifient autour de lui et il est là, stupide, légèrement tremblant pendant qu'il remet une pointe à son bas de ligne. Et c'est là, à ce tremblement, cet air malheureux qu'il a, que je le reconnais: ce débutant honteux d'être si peu digne de ce qu'il aime tant, sans expérience mais prêt à donner des conseils comme pour en vérifier le bien-fondé, ce débutant... c'est moi, et il n'y a pas bien longtemps. Cette exaspération envers lui, c'est le fait de revoir ce que j'avais réussi à me cacher à force d'habitude, car je n'ose plus parler d'expérience, du moins au singulier. Toute ma colère retombe, et c'est d'une voix humble que je m'entends lui dire: "Mettez un sedge, assez gros... ". Il me regarde, un peu surpris; il est réellement très jeune. "Essayez le gobage le plus près de vous, et surtout, ne ferrez pas. " Il finit de monter sa mouche, se tourne vers le gobage, lance et pose correctement. La mouche passe le point de gobage, dérive encore cinquante centimètres, puis est prise: c'est bien un gros poisson. Le garçon n'a pas ferré, et bien lui en a pris, car la truite - au comportement, je suis sûr que c'en est une - se ferre toute seule.