Aux origines de la pêche à la mouche.

                                     Par Joan Miquel TOURON

                                                                                      (Libreria Catalana-Perpignan)

 

                                                  

 

  Avertissement !

Ceci est "une" histoire de la pêche à la mouche artificielle, je dis bien "une", car l'Histoire ne peut avoir une seule écriture, elle n'est jamais définitive. Elle doit être revisitée sans fin. J'ai, bien entendu utilisé de nombreux documents et de nombreux livres sur la question. Ils sont toujours cités. J'ai du lire à peu près tout les écrits cités à part quelques incunables. J'ai provoqué volontairement quelques polémiques sur le forum pour être confronté à diverses opinions, j'espère que l'on saura me pardonner. Le fil conducteur, le point commun que j'ai peu à peu découvert au fil de mes recherches et qui guide aujourd'hui cette lecture est l'esprit épicurien et un tantinet libertaire du "pêcheur contemplatif"cher à Izaak Walton. Les pêcheurs à la mouche, plus qu'en tout autre sport, sont disciples d'Épicure, mais pas dans le sens erroné que l'usage a donné à ce mot en français. Mais des "épicuriens" comme les vante le philosophe Michel Omfray: des amis de bonnes compagnie autour d'un verre d'eau et quatre olives, et je rajouterai, après une partie de pêche c'est la recette du bonheur. Le "Catch and release" ou la "gratiation" étant le point culminant de cette recette. Certains trouveront que mon histoire est trop "anglo-anglaise", à ceux-là je répondrais que les racines de la pêche à la mouche telle que nous la pratiquons à ce jour, sont éminemment anglaises, que j'ai cherché autant que j'ai pu des textes et des documents dans d'autres pays , le plus souvent européens. Quelques livres* édités à ce jour mentionnent des écrits médiévaux français sur notre sport. S'il en existe vraiment , et aujourd'hui j'en doute, je n'ai pas su les trouver. Beaucoup d'amis m'ont aidé dans ses recherches. Qu'ils en soient remerciés. Les meilleurs passages sont de leur fait, les erreurs, fausses interprétations et omissions me sont totalement imputables.
J'espère apporter avec ce récit une pierre de plus à l'édifice de la connaissance de ce qui est pour nous plus qu'un simple hobby, une philosophie (épicurienne) de la vie.
* notamment l'Histoire de la pêche à la mouche de John Waller Hills qui a été cité et utilisé par de très nombreux écrivains-pêcheurs à ce jour, je n'ai trouvé aucun des documents qu'il cite et doute de leur existence. Ce qui n'empêche pas que Hills soit sans nul doute l'un des plus grand écrivain halieutique qu'il m'est été donné de lire.

 

                                               Introduction: 

 

                                                                                                                                            

            Charles Darwin



                                                                                                                           Nos ancêtres les poissons

A la fin, toutes choses viennent se fondre en une seule, et au milieu coule une rivière.
Norman Mac Lean "La rivière du sixième jour"

Nous venons des étoiles, lorsque des morceaux de celles-ci chargés d'acides aminés tombèrent dans l'eau de nos rivières et furent entraînés là ou les eaux saumâtres et la terre se rencontrent, la vie unicellulaire est née. Pourquoi cette minuscule cellule pratiquant l'amour toute seule, décida de se grouper à d'autres pour former un corps complexe, autre mystère.
Si au début de l'intelligence était le verbe, au début de la vie multicellulaire l'arrivée de la vessie natatoire fut la véritable grande révolution. En gonflant ou dégonflant cette poche de gaz, enfin des corps plus lourds que l'eau pouvaient circuler librement dans toute les couches liquides. Alors nos ancêtres aquatiques se mirent à grandir, à devenir de plus en plus complexes jusqu'a inventer la reproduction sexuée. Puis, lorsque le premier poisson eu l'idée de s'essayer au tourisme en venant se dorer sur la plage ou sur une racine, c'est encore cette vessie natatoire qui lui servira de réserve d'oxygène, et qui se transformera peu à peu en poumon. Le poumon constitué, après avoir colonisé les eaux pendant des millions d'années, rien ne l'empêchera plus de conquérir le reste de la planète. Aussi amis pêcheurs, quand vous nettoierez un de vos poissons, l'un des rares que vous vous autorisez encore à manger, en faisant éclater entre vos doigts cette petite poche blanchâtre, ayez, je vous en prie, une pensée pour tout ce que nous lui devons.

Joan Miquel

                                                                                                                          *******************

Pour initier une histoire de la pêche à la mouche, dans les documents, il ne faut surtout pas oublier la Chine. Vaste territoire et peuples ingénieux qui ont dû à peu près tout inventer avant tout le monde. Des pâtes à la poudre à canon et pour ce qui nous intéresse, du bambou refendu à la mouche artificielle.
L'Histoire avec un grand "H" commençant avec l'écriture, ce peuple immense, ou plutôt ces peuples qui forment la Chine ont 6000 ans d'Histoire.

- 2600 et - 2400 a. J.C.

C'est l'âge des premiers hameçons référencés et exposés au musée de Bagdad. Car la Mésopotamie est l'autre berceau culturel de l'humanité, nous lui devons la roue, sans laquelle point de moulinet, l'astronomie et l'écriture sans laquelle point de document sur la pêche ,....et bien sur l'hameçon que nous vénérons tous.

 

 

Hameçons musée de Bagdad


Ces hameçons de bronze exposés sont approximativement du 4/0, si j'en crois l'érudit espagnol Emilio Fernandez Romàn qui pense qu'ils devaient être destinés à des palangres pour capturer les énormes barbeaux (barbus seich) du Tigre et de l'Euphrate.

Le roi de Mésopotamie Gilgamesh 5eme de la première dynastie était surnommé "Le pêcheur" (-2800 av.jc). Mais ce n'est qu'une anecdote sans lendemain.

J'ai lu, mais sans aucune référence, que les dames de la cours de Perse, n'aimant pas toucher les vers et les petits poissons morts, avaient trouvé une sorte de pêche propre en entourant des fils de couleur sur des hameçons. Leurs gardes les emmenaient alors pêcher des rivières de montagnes.

- 2000 avant JC.

 

Scène de pêche à la ligne en Egypte, -2000 avant JC.



- 1400 ans av.JC
De l'autre côté de la Méditerranée. A Thèbes, en Égypte, un bas relief représente un pêcheur avec une canne à la main qui capture un gros poisson. Il s'agit, d'après son habillement, d'un riche bourgeois. Il devait donc pêcher ni par profession ni pour se nourrir, mais tout simplement par plaisir. A côté de lui est dessinée une mouche papillon (une éphémère?). Les archéologues et Égyptologues, spécialistes en représentation de l'ancienne Égypte en déduisirent que l'artiste avait voulu dire que notre Égyptien pêchait avec des mouches. Ce serait la première représentation d'une pêche à la mouche.


                                                                          Bas relief égyptien représentant un riche bourgeois de Thèbes pêcheur à la ligne.


La plus vieille histoire de pêche


Plutarque nous conte sans doute la plus vieille histoire de pêche de loisir référencée:
Cléopâtre et Marc Antoine aimaient aller à la pêche, tout deux comme des amoureux, et surtout  jouer a qui attraperait le plus gros poisson. Un jour de mauvais augure, comme nous en avons tous connu, Marc Antoine n'attrapait rien. Il eu l'idée, mais vous auriez fait pareil, de demander à un de ses serviteurs d'aller lui attacher de beaux poissons à sa ligne.
Cléopâtre qui n'était pas née de la dernière pluie sur le Nil, avait tout vu, et demanda de revenir le lendemain pour jouer la revanche.
Le lendemain, elle ordonna à un de ses esclaves d'aller attacher un poisson salé, ramassé sur le port, à la ligne de Marc Antoine. Le serviteur tire un petit coup sur la ligne, et Marc Antoine remonte sa prise. Ha! fit il, magnanime, je n'ai pas attrapé le plus gros, mais certainement le plus vieux!.

 Histoire reprise dans "Antoine et Cléopâtre" par Shakespeare (II.5.10-18).

-1300 à -1400 c'est l'âge approximatif de la Bible. Le texte sacré des Juifs et des Chrétiens contient plusieurs références à la pêche: Habakkuk se plaint de l'ascendance des Chaldéens sur son peuple "Ils les attrapent tous avec une canne à pêche, les capturent dans leurs filets et leurs nasses". Job demande " pouvez vous tenter votre adresse avec un hameçon et son ardillon?". Quand à la Bible des seuls Chrétiens elle regorge de référence à la pêche, puisque les disciples de Jésus sont presque tous pêcheurs professionnels. Saint Pierre en pêchant le lac Tibériade avec une canne à pêche attrapa un poisson qui transportait une pièce de monnaie.

"Les Grecs ont tout pensé, les Romains ont tout fait et l'Homme moderne n'a été capable que d'envoyer des boites de conserves dans la lune".

- 300 av. Jc Le poète grec Théocrite mentionne dans un de ses poème " l'appât artificiel (fallacieux) suspendu à la canne ", mouche ou leurre?


                                                                                                                 




An 0 approximativement,

C'est la première référence, documentée, d'un hameçon destiné à pêcher à la mouche. Sous la forme d'un simple vers, signé par le poète romain Marco Valerio Martial:

" Imitantar amos dona, namque qui nescit avidum vorata decipit mosca"

Ce qui donnerait à peu près, et pardon pour les forts en thème:

"Les cadeaux sont des hameçons.
Qui ignore que le vorace se laisse tromper par la mouche qu'il avale?"


Aucun doute à avoir, les hameçons de l'époque sont beaucoup trop gros et ne peuvent être éschés avec une mouche naturelle. Il ne peut s'agir que d'une mouche artificielle. La phrase étant présentée comme un proverbe, nous pouvons nous permettre de croire que cette manière de tromper un poisson était relativement connue.

 


Monnaie ibère 1er S AV JC (Musée des monnaies, musée Puig, Perpignan).

170 et 235

Ce sont les dates approximatives de la naissance et de la mort de Claudius Alienus Sophista "Aelien le sophiste", esclave affranchi et professeur qui a rédigé d'abord en grec puis a été traduit ensuite en latin: "De animalium natura" l'ancêtre de nos encyclopédies animales. Il consacre un chapitre à une forme "étrange de capture d'un poisson moucheté":

" J'ai entendu parler d'une méthode macédonienne pour attraper du poisson, la voici: entre Borae et Thessalonique, coule une rivière appelée Astraeus: y vivent des poissons à la peau tachetée; comment les natifs de cette région les appellent? Vous ferez mieux de le demander aux Macédoniens. Ces poissons se nourrissent d'une mouche particulière à cette région, qui vole sur la rivière. Elle ne ressemble à aucune des mouches découvertes ailleurs, ne ressemble pas à une guêpe, n'a pas décrite comme un moucheron, encore qu'elle ait quelque chose en commun avec les deux. Elle ressemble à une mouche, et en taille vous pourriez l'appeler moustique, ayant les couleurs de la guêpe et la silhouette d'une abeille. Habituellement les natifs l'appellent Hippouros. Ces mouches recherchent leur nourriture sur la rivière (sic), mais n'échappent pas à l'observation des poissons qui nagent en dessous. Lorsque les poissons voient la mouche à la surface, ils nagent doucement vers elle, sans agiter les eaux pour ne pas effrayer leur prise, puis s'en approchent guidés par leur ombre (sic), ils ouvrent la gueule doucement et avalent la mouche, comme un loup enlève un mouton d'un troupeau ou un aigle une oie d'une ferme, ceci fait ils regagnent leur repaire.
Les pêcheurs qui ont compris cela, n'utilisent pas ces mouches pour appâter (...), si une main humaine les touche, elles perdent leurs couleurs naturelles, leurs ailes et deviennent impropres comme nourriture du poisson. iIs ne pouvaient les utiliser à cause de cette particularité, aussi ont-ils monté un stratagème pour les tromper, réussi grâce à l'adresse des ces artisans pêcheurs:Ils enroulent une laine rouge autour de l'hameçon et tournent autour deux plumes qui poussent sur la barbe (caroncule) d'un coq, elles ont une couleur de cire (d'abeille). Leur canne est de 1,80 mètre, leur ligne de même longueur. Ils lancent leur leurre et le poisson excité par sa couleur s'approche et l'avale pensant faire une bonne bouchée, quand tout à coup ouvrant sa bouche , il est pris par l'hameçon, et amer repas, se retrouve captif."


La mouche employée alors, il y a 2000 ans, est notre bonne vieille Red Palmer. Quand à la mouche naturelle les couleurs de guêpe font songer à une Mouche de Mai. A noter que l'artificielle décrite ne ressemble en rien à la mouche naturelle.
Cette pêche si particulière suivra sans doute les légions et les conquêtes romaines.

 

 

langue
Mais où peut bien se trouver la rivière des "origines"?



Si la partie de pêche décrite par Alien le Sophiste ne peut être mis en doute tant elle est proche des techniques que nous connaissons et, pour certains, qu'ils ont  vu pratiquer, tout le reste du témoignage est très difficile à utiliser pour retrouver les lieux de cette première pêche à la mouche européenne référencée.
L'auteur lui-même n'est pas très fiable. Il a rédigé son encyclopédie animale sans jamais sortir d'Italie, recueillant les témoignages que les voyageurs, sans doute des légionnaires et des marchands, ont bien voulu lui rapporter. Mais il peut décrire aussi bien  la vie des éléphants que celle de dragons. Le lieux même de la partie de pêche, la Macédoine, située dans les Balkans, doit être la région d'Europe qui a le plus changé de frontières dans son histoire. Annexée par Rome, peu de temps après la rédaction du texte d'Alien, elle est aujourd'hui encore répartie entre la Bulgarie, la Grèce et une région de l'ex-Yougoslavie devenue indépendante récemment. Il existe bien une rivière qui porte le nom d'Astraeus, mais elle ne coule pas entre les ville de Berea et Thessalonique. Bon nombres de géographes pêcheurs ou de géographes mis à contributions par des pêcheurs fouineurs ont situés la rivière Astraeus  comme étant l'actuelle Arapitsas, située entre Edessa (Tesalònica) et Beroea (Berea) et qui est devenue, depuis les travaux d'irrigation de la zone, un tributaire du canal qui se jette dans la rivière Haliacmon (Aliàkmon).
James Prosek a accompli un tour du monde de la pêche à la truite. De son voyage il a ramené dessins, croquis et aquarelles car il est autant artiste que pêcheur. Deux livres sont nés de cette véritable aventure moderne, "Fly-fishing the 41s. Arround the world on the 41s Parallel", non traduit en français et le " Bel inventaire des truites" publié par Aubanel et qui recueille toutes ses aquarelles de truites qu'il a péché durant son périple.
Dans "Flyfishing the 41s", il raconte qu'il est allé pêcher cette fameuse rivière des origines. Il fit une réserve de mouches telles qu'elles sont décrites par Alien. Malheureusement, cette rivière, Aliakmon, est actuellement polluée à l'extrême par les déjections des élevages de moutons. Non seulement James et son camarade de pêche n'ont pas vu un seul poisson, mais les effluves pestilentielles ont rendu malade notre "globe pêcheur".
Son camarade Johannes Schoffmann, autrichien, faisant une étude scientifique, captura une truite à la main dans un petit affluent de l'Aliakmon.

Une pêche à travers siècles et marées

 

Jusqu'aux années soixante, deux pêcheurs professionnels alimentaient en truites les restaurants le long du fleuve Sègre en Cerdagne espagnole. Pedro Sagal de Martinet et Santiago Corporales de Bellver pêchaient tout deux pratiquement sous la canne avec, respectivement, deux et trois mouches montées sur des hameçons à palettes directement attachés sur les avançons du bas de ligne. Pedro Sagal a constamment pris des notes de ses expériences de pêcheur accompagnées de la comptabilité de ses ventes. En Capcir (Pyrénées Orientales), je fus invité en Juin 1985 à une partie de pêche sur la rivière Aude, pratiquement à sa source, par Guy Buscail. Il pêchait avec une canne de 4 mètres de bambou sauvage d'un seul tenant qu'il transportait à l'extérieur de sa voiture en passant le bras par la fenêtre et conduisant d'une seule main.
Une cordelette était attachée directement au bout de la canne suivie d'un bout de nylon supportant les trois mouches. Il pêchait de cette façon comme l'avait fait avant lui sa famille de père en fils.
Ces trois pêcheurs avec leur trois mouches qu'ils montaient et abaissaient lentement au dessus de l'eau en surface et dans l'eau exploraient ainsi toutes les couches de la rivière. C'était une pêche extrêmement productive. Depuis je n'ai jamais plus vu ni entendu dire qu'il existait encore des pêcheurs oeuvrant ainsi. Cette méthode décrite par Alien le Sophiste aura survécu jusqu'a nos jours, mais aura succombé face aux nouveaux matériels et techniques de pêche encore plus performants.

G. E. M Skues a pêché l'Europe pendant plus de 20 ans il raconte dans un des ses livres comment il rencontra ( env. 1910) dans l'actuelle Bosnie et dans le nord de l'Italie des pêcheurs à la mouche utilisant des cannes "archaïques" et pêchant comme l'a décrit Alien dans son encyclopédie.

300 après JC: Après vingt ans de carrière politique passés à administrer les conquêtes romaines faites par ses prédécesseurs et avoir marqué l'Histoire par une farouche et sanguinaire persécution des Chrétiens, l'empereur Dioclétien se retire dans son magnifique palais à Aspalathos (actuelle Croatie) et s'adonne pacifiquement à la pêche à la mouche artificielle sur ses rivières privées, l'heureux homme!



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Nature, religion, et "Flyfissinge" au Moyen-âge
"My father was very sure about certain matters pertaining to the universe. To him, all good things - trout as well as eternal salvation - come by grace and grace comes by art and art does not come easy."
Norman Maclean
( mon père était absolument sûr que certaines choses étaient de l'ordre de l'universel. Pour lui toutes bonnes choses, les truites comme le salut éternel, devaient être obtenues dans l'effort).


Avant d'aborder les véritables éditions de pêche de l'époque médiévale,


il y a deux ou trois petits détails sur lesquels j'aimerais revenir, même si j'ai affaire à une docte assemblée de lecteurs, et même si les séries télé, les films ... et les livres nous ont donné une vision très proche de la réalité.
La religion, présentée le plus souvent comme un instrument de répression et d'obscurantisme - ce qui est loin d'être faux - est aussi le centre de la vie, de la culture, de la science et de la morale (civisme). L'époque romane a une conception du monde à travers Dieu. Les Hommes cultes d'alors observent beaucoup plus que nous la nature, car c'est à travers elle que s'exprime Dieu et l'on se doit de déchiffrer son message. Une belle fleur, un beau coucher de soleil, le vol d'une magnifique éphémère, c'est l'accomplissement de la volonté divine.

"I fish because I love to; because I love the environs where trout are found, which are invariably beautiful... and, finally, not because I regard fishing as being so terribly important, but because I suspect so many of the other concerns of men are equally unimportant—and not nearly so much fun." ~John Voelker, a.k.a. Robert Traver,
" Itinéraire d'un pêcheur à la mouche".


"je ne pêche pas parce que c'est terriblement important, mais parce que je soupçonne le reste des activités humaines d'être tout aussi dérisoire ....... "

 



Aujourd'hui la morale est dictée par la science et surtout par la médecine: nous ne mangeons plus un yaourt parce qu'il est bon, mais parce qu'il facilite le transit intestinal. Certains, même, ne comprenant pas notre désir de pêche, lui cherchent des bonnes raisons: s'aérer, se changer les idées, faire du sport. Sachons leur répondre que nous allons à la pêche absolument pour rien, même pas pour manger un poisson. Il faut savoir accomplir des choses inutiles qui nous font plaisir. Au Moyen-âge, tous les écrivains qui se lancent dans le récit ou la leçon de pêche, le font pour nous aider à nous laver l'esprit de tous mauvais penchants afin de mieux être à l'écoute de Dieu. Laver son esprit des souillures de la vie "moderne" conduit à la contemplation de la nature et nous permet de décrypter le message du divin. La chasse excite les penchants négatifs. Elle réveille chez l'Homme ses bas instincts animaux, et la bestialité l'éloigne de Dieux qui l'a créé à son image. Pour cette même raison, toute excitation est alors condamnable, quelle soit sexuelle ou quelle s'exprime dans toute autre activité humaine. Le sexe réprimé est en fait un concept très récent. La pêche, elle, ouvre l'esprit.
Le poisson était très important dans l'alimentation, pour son apport calorique, bien sur. Mais encore et toujours à cause de la religion. Le carême obligeait à un jeune de quarante jours où la seule nourriture carnée autorisée était le poisson. Plus on s'éloignait des côtes et plus il était difficile de se fournir en poisson (à part l'anguille et la morue salée), il fallait alors manger du poisson de rivière. Celui-ci était pêché le plus souvent au filet. Les villages étaient obligés de fournir les couvents en poisson.
Les Hommes chantaient énormément, le chant était le premier des loisirs et des plaisirs populaires car il était gratuit: on chante au travail, dans les auberges, le soir en prenant le frais. Les églises rédigent des édits condamnant le chant "malhonnête" en pleine nuit. On dit que "quatre anglais c'est une chanson" ou "que l'espagnol chante plus qu'il ne parle." Impossible de reproduire une scène de la vie courante au Moyen-âge que ce soit au théâtre ou au cinéma, si l'on ne place pas à chaque coin de rue et dans tous les lieux publics des groupes de chanteurs spontanés. On chante un moment avec eux, avant de vaquer à ses occupations, remplacé aussitôt par un autre manant. Les rues sont terriblement bruyantes, chaque artisan travaillant devant sa porte. On crie d'une fenêtre à l'autre, on hurle au marché, les charrettes aux roues ferrées arrachant des crissements terribles aux pavés ou aux cailloux, les cochers hurlant des chapelets de jurons. Rien de véritablement intime, et pour faciliter la méditation il faut fuir les villes.
Aujourd'hui, le pêcheur est vu très souvent comme un pacifiste, un rêveur un tantinet libertaire refusant de quitter sa rivière, son paradis ombilical pour accomplir un devoir civique aussi important que le vote. Tous nos érudits et savants médiévaux discourant sur la pêche en profitent pour écorner la société, les possédants et même la noblesse, preuve d'une longue tradition qui ne doit rien aux médias actuels.
Enfin le plagiat, le copiage et recopiage sans citer ses sources étaient chose habituelle, la plupart des livres de "secrets" d'agriculture sont recopiés par des religieux ou des érudits qui les signent de leurs noms sans autre forme de procès. La propriété intellectuelle n'avait pas encore de statut pour la protéger.

Les premiers livres que nous trouvons en Europe (rien ne prouve qu'il n'y en ait pas eu d'autres disparus depuis) sont surtout anglais et espagnols. Nous expliquerons

que les liens entre ces deux pays étaient très importants à l'époque. En France, la pêche est une activité de pauvres et ne laisse aucune véritable bibliographie alors que la chasse, sport de la noblesse - seule activité masculine à laquelle les femmes pouvaient participer - nous a légué des livres magnifiques aux enluminures splendides qui atteignent des prix astronomiques dans les salles de vente du monde entier. De nombreux livres de pêche français traitent de l'histoire de la pêche à la mouche. Très souvent il est fait référence à un texte médiéval écrit en vers et en latin, "De Vétula" (la vieille), tenu pour être le premier texte décrivant la pêche à la mouche. Sauf erreur de ma part, c'est un texte très métaphorique sur les vertus et folies des jeu de hasard et du jeu de dés en particulier, mais je n'y ait pas trouvé de référence à la pêche encore moins à la pêche à la mouche. Il fut traduit en vieux français au XIVème siècle par Jean Lefèvre (1320-1380) procureur au parlement de paris qui l'a faussement attribué à Richard de Fournival (1201-1260). Cette erreur se répète dans plusieurs livres de pêche.
De la même façon le livre "Les ruses innocentes" (1660) de François de Fortin cité plusieurs fois comme un des premiers textes français sur la mouche artificielle décrit plusieurs méthodes de capture du poisson mais jamais de la façon qui nous intéresse.

 

1000 "En 1855 fut présenté à Arras, dans une réunion d'antiquaires, un manuscrit sur la pêche à la ligne, qui aurait été trouvé dans ce qu'il restait de la très riche bibliothèque de l'abbaye de Saint-Bertin à Saint-Omer. Écrit en vieux français, dont le style permettait une datation autour de l'an mille, ce manuscrit divisé en Vingt-deux chapitres présentait la plupart des poissons de rivières ainsi que les procédés et les amorces à utiliser en fonction des saisons pour les capturer. Contenait-il déjà une description des mouches artificielles pour pêcher la truite? nous ne le saurons sans doute jamais".
Ce texte a été écrit par Pierre Affre et relevé dans un article ayant pour titre "Le Traité de Dame Juliana" publié dans Pêches Sportives N°5 Avril Mai 1996.

1210: Dans un roman allemand il est décrit une partie de pêche utilisant une "vederanglel" que l'on pourrait traduire littéralement par "hameçon emplumé" . L'auteur, Wolfram von Eschenbach, met son héros "Schionatulander", en scène dans une rivière, pêchant pieds nus truites et ombres avec une mouche.

1310 d'autres textes allemands explique que la pêche à la mouche est une méthode utilisée habituellement " par le peuple" sur un territoire allant de la Suisse jusqu'a l'actuelle Syrie.



1400-1500 en Angleterre
On compte environ une douzaine de manuscrits de thèmes divers qui font référence à la pêche à la mouche, le plus souvent quelques lignes seulement; ce qui prouve que c'était une pratique usuelle pour capturer des poissons.

1496 Dame Julyana Berners

Si Dame Julyana Berners avait été un homme personne n'aurait mis en doute qu'il soit l'auteur d'un traité de pêche. Mais voilà, notre Dame est née femme et peut être bonne soeur, il n'en fallait pas moins pour remettre en question jusqu'a son existence.
Les deux manuscrits existants sont signés de son nom, orthographié de façon différentes, ce qui était courant à une l'époque ou les règles orthographiques n'existaient pas. Je ne peux imaginer que l'on ai pu signer les écrits d'un homme avec un pseudonyme féminin. En ces temps très hiérarchisés et sexistes c'était plutôt le contraire qui se pratiquait, c'est à dire qu'une femme signe avec un prénom masculin, jamais l'inverse.

La première édition du livre de Saint Alban (1486), ne traite que de chasse et de héraldique, et est signée Dam Julyans Barnes. La seconde (1496), publiée à Londres chez Winken Worde est signée "Dame Julyans Bernes".
Dame Julyana Berners - nous garderons cette orthographe - s'est lancée dans la rédaction d'un tel traité car elle tient en haute estime les loisirs de plein air. Elle est persuadée qu'au contact de la nature et jouissant de toutes les beautés créées par Dieu, l'Homme s'élèvera et renoncera à une vie de violence, de vice et d'oisiveté. Son originalité a été non seulement de mettre la pêche au même niveau que la chasse, mais surtout de traiter la pêche comme un sport de loisir. La finalité n'étant pas de prendre du poisson à tout prix. Ce que presque cinq siècles plus tard, nous considérerons comme une approche moderne de la pêche sportive



La Légende de Dame Julyana Berners
Pour ajouter un peu plus au mystère des origines de Dame Julyana Berners, un antiquaire a écrit une biographie sur ses origines familiales. Elle fut rédigées seulement une cinquantaine d'années plus tard, c'est à dire à une époque ou son souvenir pouvait subsister dans la mémoire de certains témoins directs ou indirects. Il explique que Dame Julyana serait entrée au couvent des Bénédictines de Sopwell (Hertdorshire) en 1415, à l'âge de 30 ans avant d'en devenir la mère supérieure. Sa mère avait épousé en première noce Sir Roger Berners, conseiller du roi Richard II, mais il sera décapité, soupçonné de conspiration. En seconde noce elle épousa Sir Roger Clarendon, fils bâtard du Prince Noir* demi-frère de Richard II. Mais cette riche filiation ne le sauvera pas de l'exécution capitale toujours pour délit de conspiration. C'est peut être une des raisons qui incitera Dame Julyana à choisir la vie monacale. Elle entre dans les ordres au couvent de Sopwell dédié à Saint Alban, un martyr anglais de l'époque romaine.
Cette biographie est issue du livre " Lives of the most eminent inglish writers " écrit en 1559 et signé par John Bale, un antiquaire anglais.
En recherchant dans les archives du couvent de Sopwell, il n'a pas été trouvé trace d'une carmélite du nom de Berners. Il n'a pas été trouvé, non plus, trace d'une Dame Julyana en fouillant les archives de la noble famille des Berners.

*Le Prince Noir, c'est Eduard, Prince de galles et Prince d'Aquitaine. Tout le monde en a entendu parler sans trop savoir qui il est. Surnommé ainsi pour la couleur de son armure, il est connu et reconnu pour avoir été un combattant redoutable qui n'hésitait pas à prendre le devant dans les nombreuses batailles qu'il a commandé. Il était la terreur de Du Guesclin, car bien supérieur au breton tant par son audace que ses ruses militaires. Avec 7000 hommes dont 2500 anglais et 4500 gascons, il vainquit 15000 cavaliers Français et captura le roi de France (Rançon de 3 millions d'écus d'or). La magnabilité de l'arc anglais très rapide, contre l'arbalète française lente à réarmer faisant la différence sur les champs de bataille. La supériorité incontestable des Anglais sera renversée fin du XIV siècle avec l'apparition de l'artillerie, dont l'armée française s'est largement pourvue, soucieuse de se moderniser, contrairement aux anglais trop sûrs de l'habileté de leurs archers. Sans cela, nous parlerions tous anglais. Le Prince Noir est ensuite allé soutenir, en Espagne, une des branches de la famille royale luttant pour récupérer le trône et la couronne du royaume de Castille. Mais cette expédition ne fut pas à la gloire du vaillant Prince Noir.

Une autre version donnée, elle, par des historiens spécialistes de cette époque et désireux d'ajouter foi aux écrits de John Bale, supposent que Dame Julyana, n'est peut être pas rentrer dans les ordres, ce qui expliquerait son absence des archives très sérieuses du Prieuré. Elle aurait pu seulement y être hébergée. Pratique courante si la famille pouvait se le permettre financièrement. Les exécutions qui secouèrent sa famille peuvent expliquer que l'on ait voulu la mettre à l'abris. Ce qui pourrait expliquer, aussi, qu'elle ait eu le temps de pratiquer la pêche à la ligne. Si elle est réellement rentrée dans les ordres, en étant de haute lignée, elle a dû le faire par vocation. Je m'avance peut être: mais les fils et filles de nobles rentraient souvent dans les ordres parce que le droit d'aînesse avait réservé tout l'héritage au premier fils. Les autres n'ayant d'autres choix que l'armée pour les garçons, ou le couvent, car ces deux activités assuraient au moins le couvert chaque jour.



1450 ( et publié en 1496) The book of saint Alban o A treatyse of fisshinge wyth an angle.


C'est le premier traité de pêche édité (1496), il faudra attendre Izaak Walton et Charles Cotton pour retrouver un guide pêche d'une aussi grande qualité. Il faut bien préciser que la première édition de 1486 est un traité de chasse, fauconnerie et héraldique. Le traité de pêche n'apparaît que dans la seconde édition de 1496 sous la forme d'un chapitre ajouté de 23 pages. Il n'existe aujourd'hui que deux copies originales conservées précieusement dans la bibliothèque universitaire de Yale (Connecticut), et malheureusement les deux sont incompletes.

Il aura fallu attendre 36 ans et l'avènement de l'imprimerie pour qu'ils soient enfin publiés par Wynkyn de Worde à Londres. Il y a fort à penser sans trahir l'Histoire que la première écriture à été faite sur commande. Ce qui était fréquent à l'époque ou peu de gens savaient écrire. Un noble passionné rêvait d'avoir un livre traitant de son "hobby" et le commandait à un couvent peuplé de lettrés. Le prix était alors exorbitant: on cite un livre qui coûta un troupeau de moutons, une vrai fortune pour l'époque. La peau de tous ses animaux servant de parchemin, la viande payant la rédaction et la fabrication. Une fois cette première édition exécutée, Dame Julyana passionnée de pêche rajouta un chapitre consacré au sport qu'elle vénére, le "fishing with an angle", sans oublier d'égratigner au passage tous les autres sports de plein air.
Comment cette dame à t'elle pu écrire un livre de chasse puis attendre quelques dix ans plus tard pour rajouter un châpitre faisant l'éloge de la pêche et dénigrant les deux autres sports?
Vous me permettrez de penser que c'est tout simplement sa passion qui lui fit défendre la pêche que le client inicial du livre avait négligé dans sa commande. Mais peut être que c'est cette même passion qui me pousse à de telles déductions sans fondement documentaire.

"Ainsi commence le Traité de pêche
Salomon en un de ses proverbes dit qu'un esprit heureux donne une vie efflorescente, longue et agréable. Étant ainsi, je pose une question: quels moyens et causes portent un homme a jouir d'un esprit bienheureux? En vérité et avec mon meilleur jugement, je crois qu'il y a des sports et d'honnêtes jeux qui font que l'homme peut trouver plaisir sans avoir à se repentir ensuite. De là je déduis que les bons divertissements et honorable passe-temps entraînent une vieillesse agréable et une longue vie.
Et pour cette raison, j'ai choisi quatre bons sports, à savoir: la chasse, la fauconnerie, la chasse au collet et aux pièges. Le meilleur à mon simple avis, est la pêche, appelé pêche à la canne avec ligne et hameçon."

Vient ensuite une application de son bon jugement sur la pêche. Elle cite qu'être bon chirurgien nécessite trois qualités " Si tibi deficiant medici, medici tibi fiant: hac tria, mens laeta, labor et moderata dieta" c'est à dire qu'il faut à un bon chirurgien voulant faire carrière:
" d'heureux sentiments (ou pensées), travailler sans excès, ne pas manger outre mesure". Alors avec une alimentation saine et naturelle, la pêche lui apportera toutes les autres qualités. Et nous croyons avoir tout inventé, même le bio!
Puis vient une longue description de tous les avantages de la pêche sur la chasse au chien courant: on finit par perdre ses chiens, on court, on se fatigue, et on risque d'attraper froid et des maladies qui conduisent à la mort, des pièges que l'on ne peut poser que l'hiver d'où risque de pieds mouillés et de maladies, et on finit par perdre ses pièges, au faucon: on court, on crie, on s'époumone en sifflant, on s'énerve car l'oiseau ne veut pas chasser, et on finit par les perdre. Non, en tout honnêteté, notre Dame préférée ne voit que la pêche comme sport pour fortifier une âme saine dans un corps sain et rendre grâce à Dieu, ce qui nous promet une longue vie dans l'esprit du proverbe de Salomon.
Mais comme la Dame est honnête, elle prévoit que le poisson ne morde pas: " si tel est le cas, notre pêcheur pourra en pleine tranquillité faire une promenade salutaire et agréable, en s'imprégnant et respirant à pleins poumons le doux parfum des distinctes plantes et fleurs qui lui ouvrira l'appétit et maintiendra son corps en bonne condition. Il pourra, aussi, admirer les évolutions des cygnes, canards, martinets blancs et de beaucoup d'autres oiseaux accompagnés de leur petits" et s'ensuit une autre liste de comparaisons défavorables pour les autres chasses.


Mouches de dame Julyana Berners. Col. Agustí Jausas Barcelona.

Dame Julyana nous explique qu'il faudra se lever tôt car "la richesse appartient à ceux qui se lèvent tôt". Pour cette raison " elle a rédigé ce modeste traité dirigé à toutes les personnes vertueuses nobles et bien nées; la pêche leur apportera une longue vie enrichissante en tout sens."
Puis commence le traité par lui-même ou l'on apprendra à construire sa canne, en noisetier ou bouleau, la redresser au feu, faire la poignée, elle était à emmanchement avec viroles, les deux bouts été creusés avec des broches à gibier chauffer au rouge. Enfin il fallait tresser la ligne à partir de crins de la queue d'un cheval blanc (pas d'une jument car ses urines brûlent le fil). Les crins seront teints suivant les eaux pêchées, description des teintures et comment les obtenir.


Illustration du treatyse. Les outils et les les hameçons. Col. privée Agutí Jausas

Pour la mouche, le crin doit être laissé à l'état naturel. Sans oublier les chaînettes pour l'avançons des lignes à brochets.
Puis vient ce qui, aux yeux de notre fée, est le plus difficile: la construction de l'hameçon qui, vu le matériel et les matériaux employés, ne devait pas descendre au dessous du numéro 10. Dessins et croquis accompagnent le tout, ainsi qu'un croquis de tous les outils nécessaires à la construction de tout votre matériel. Sans oublier le métier à tisser les crins de cheval.


Mêtier à tisser les crins de cheval. Illustration du "Treatryse" Col. privée Agustí Jausas.



Maintenant que vous avez votre matériel au point, vient toutes les descriptions des divers appâts à utiliser et tous les poissons que l'on peut prendre et comment s'y prendre, suivi de la description des vents, des températures des eaux et de leurs couleurs, et celles qui sont néfastes ou prolifiques. Rien n'est laissé au hasard.

Pour la capture des carpes, nouvellement introduites dans les eaux anglaises, elle précise que les meilleurs appâts lui ont été conseillés par des personnes crédibles, mais elle les a trouvé aussi dans des livres dignes de foi (credence). Preuve que d'autres livres de pêche existaient à l'époque, mais qu'ils ont malheureusement disparu.
Pour la description des poissons
il est bien précisé que le saumon est le plus noble et pour cette raison, il est cité le premier. Pour sa capture, la mouche peut être utilisée en surface mais sa prise est très aléatoire.
Et enfin tout le catalogue des mouches, avec leurs planches représentant les douze imitations à monter. Elles sont décrites, et répertorient tous les matériaux qu'il faut utiliser pour les faire, plumes et dubbing comme nous le faisons encore aujourd'hui. Elles portent chacune un nom et pour chaque fiche, il est indiqué le mois et où elle doit être utilisée. Il est bien précisé qu'il s'agit d'une pêche en surface. Il faudra attendre plusieurs siècles pour trouver d'autres mouches que celles de Dame Julyana. Celles-ci seront fidèlement copiées et reproduites des siècles durant, notamment par Izaac Walton.


Illustration du Treatyse, col.privée Agustí Jausas, Barcelona.

Enfin, comme notre dame termine sur une page de morales et recommandations qui pourraient être lues aujourd'hui dans nos revues de pêche.
" Ne pas pêcher sur les eaux des pauvres, ne pas prendre les poissons pris dans des nasses ou des filets car c'est du vol et indigne d'un gentilhomme. Bien refermer les portes et portails que l'on a ouverts pour se rendre sur notre lieu de pêche. " Ne pas pratiquer cet art avec cupidité ou pour augmenter vos biens; aller à la pêche est un plaisir et une distraction, pour la santé de votre corps et plus spécialement pour votre âme. Quand vous allez à la pêche ne prenez personne avec vous, il vous distrairait. Vous pouvez servir Dieu en récitant vos prières habituelles"
….. " ne vous montrez pas non plus trop avide pour capturer vos poissons et en attraper beaucoup en peu de temps, ce qui serait facile si vous suivez les conseils de ce traité. Le résultat serait de détruire votre propre plaisir et celui des autres. Lorsque vous avez un plat suffisant, il n'est pas nécessaire de désirer plus. Vous aurez aussi pour obligation, dans la mesure de vos moyens, de nourrir les poissons et de détruire les prédateurs. Tous ceux qui seront en règle auront la bénédiction de Dieu et de saint Pierre".



Et le meilleur pour la fin:
[i][i]" Afin que le présent traité ne tombe en de mauvaises mains d'oisifs, ce qui ce serait passé si je l'avais publié en petit opuscule, je l'ai introduit dans une œuvre majeure dirigée aux nobles personnes (héraldique); de cette façon, ces oisifs de qui je vous ai parlé auparavant ne pourront aller à la pêche et ainsi la détruire".

L'élitisme était moins dissimulé à cette époque que de nos jours.
1450 - 1540 Fernando Basurto


Si vous deviez vous rappeler d’un seul nom, d’un seul auteur parmi les précurseurs qui donnèrent leurs lettres de noblesse à notre sport, j’aimerais que ce soit celui-ci. En effet, tous les autres, de Dame Julyana à Izaak Walton, vous les retrouverez cités dans des dizaines de livres ou d’articles différents, alors que notre aragonais demeure ignoré ou négligé, ne méritant au mieux que quelques lignes. Pourtant son manuscrit édité seulement un an avant la disparition de son auteur est d’une incroyable qualité, nous obligeant à relativiser constamment nos complexes de supériorité d’Hommes modernes.
Et si tout avait déjà été pensé avant nous ?
Fernando Basurto est né à Jaca (Aragon), mais sa profession de militaire au service du roi d’Espagne l’appellera à servir sous d’autres cieux. Il fut pêcheur dans sa jeunesse, et confesse que lors de ses nombreux voyages à travers le monde, la pêche lui apportait tranquillité de l’âme et repos du guerrier. D’après lui, elle soignerait même des tracas amoureux. Dont acte.
Heureux comme Ulysse, après maintes traversées, c’est au pays de ses vertes années, à Zaragoza, qu’il reviendra profiter de sa retraite. C’est là qu’un groupe de pêcheurs aragonais viendront lui proposer de rédiger un traité de pêche renfermant tous leurs secrets. Le livre se composera de deux parties, toutes aussi intéressantes que différentes. Comme avant lui, Dame Julyana Berners, il se lancera dans une défense de la pêche contre la chasse, et comme Isaac Walton et William Samuel le feront après lui, cette défense sera rédigée sous la forme d'un dialogue entre un pêcheur et un chasseur. D’ailleurs, le découvreur de ce manuscrit l’appellera « Los dialogos », alors que le titre choisi par son auteur est : « Dialogo que agora lo hacia ». La deuxième partie est une description précise et minutieuse des techniques de pêche intitulée "El tratadico de la pesca".
Alors Izaak Walton déjà accusé d’avoir plagié « The art of angling » de Thomas Barker, aurait-il lu Fernando Basurto et s’en serait-il inspiré pour ses propres dialogues ? Possible, mais pas sûr. En effet, les dialogues entre profanes ou candides et leurs maîtres sont des genres littéraires extrêmement courants à l’époque depuis Platon. Il faut préciser aussi que l’Espagne entretenait alors d’étroites relations avec l’Angleterre. Shakespeare y cherchera l’inspiration et ce contemporain de Walton écrira plusieurs pièces et non des moindres prenant pour cadre le Royaume d’Aragon et ses démêlés avec le royaume de Castille : « Beaucoup de bruit pour rien ». Enfin, Marie Tudor, qui prendra couronne en 1553, était fille de Catalina d’Aragon et d’Henri VIII. Autre détail abondant dans ce sens, une phrase tirée des pages de «The compleat angler» de Walton. Il cite, sans en préciser les sources, un « ingenious spaniard », un ingénieux espagnol qui écrivit:
"les rivières et leurs habitants aquatiques ont été créés pour que les sages les contemplent et pour que les ignares passent au large sans leur donner la moindre considération ".
Très belle phrase extraite de « Las cientes diez considéraciones del senor Valdés » écrite au XVIème siècle. Si Walton connaissait cet auteur espagnol, peut être avait-il lu d’autres œuvres littéraires de la péninsule.
Il serait attristant et dommageable pour notre art que l'oeuvre de Fernando Basurto, d'une indéniable qualité, ne demeure dans l'ombre d'un Walton ou de Dame Berners.

Le livre de Dame Juliana Berners a été écrit en 1486 et le chapitre de pêche sera rajouté dix ans plus tard en 1496, mais ne sera imprimé que 36 ans plus tard, le livre de Fernando Basurto verra le jour 40 ans après et il faudra attendre encore 120 ans pour pouvoir lire Isaak Walton.

Emilio Fernandez Roman nous dit dans son livre "Los Orígenes de la pesca con mosca y el camino de Santiago" (Madrid 1999) que le livre de Fernando Basurto a disparu et qu'il n'en existe aucun exemplaire en Espagne. Edmond Ardaille dans le sien "Des mouches et des hommes" (Nîmes 1994), écrit qu'un exemplaire a été découvert dans les années 70 à la bibliothèque de l'arsenal à Paris. Sans plus d'explication.



1539 Dialogo que agora le hacia



Dialogue qu'alors il lui faisait: destiné au très illustre senor Don Pedro Martinez de l'Una Code Aborata: Senor de la casa de Hueca.

Un pêcheur voit sa tranquillité perturbée et sa pêche compromise par l'agitation des chiens de chasse d'un jeune noble. Le pêcheur âgé et de condition très modeste engage la conversation. Malgré la différence d'âge, la différence de classe est la plus forte, et le pêcheur plein de déférences vouvoie son interlocuteur. En revanche le chasseur tutoie le pêcheur, mais écoute les vérités qui lui sont assénées contre l'art de la chasse, sa passion. Nous retrouvons là l'esprit de Dame Julyana Berners, la chasse n'est rien comparée à la pêche, que fatigue et excitation qui sont ruines de l'âme, et dangereuses pour la santé. La pêche apporte le salut et permet une meilleure communion avec les créations divines.
Arrivé chez lui, et ne pouvant oublier cette conversation avec le jeune noble, notre pêcheur se lance dans la rédaction d'un traité de pêche, qui deviendra le chapitre que nous allons voir ensemble, et qui vient s'ajouter au corps du livre des "dialogos", il porte pour titre:

"El Tratadico de la pesca" Le traité de pêche.

 


Permière page du Tratadico de pesca. Col. privée Agustí Jausas, Barcelona.

"Un pêcheur se doit d'être patient surtout si les poissons ne veulent pas "accomplir ses désirs". Exercice plein d'espérance, qui ne peut engendrer l'ennui car les poissons peuvent ne pas être mordeurs pendant un moment, mais en d'autres temps ils peuvent être autant goulus et manger tant qu'ils en perdent la vie. Ainsi en est-il de certains hommes et souvent des femmes (no pocas veces), que d'avoir trop à manger les entraîne vers leur perdition. Il convient de ne jamais perdre espérance, car à un moment ou à un autre, ils se nourriront."
Toujours le message moraliste, nous verrons plus loin combien Basurto défend une vision politique que n'aurait pas renié nos anciens hippies.
Il explique qu'il ne faut pas pêcher quand soufflent les vents mauvais et que le temps ne s'y prête pas. Mais qu'il faut profiter des matinées allègres et des après-midi sereines afin que pêcheurs et poissons jouissent "una delectacion", autrement (pêcher) c'est crier dans le désert. Il nous confie que tout ce qu'il va nous apprendre, il le tient de grands pêcheurs, et l'a appliqué sur terre et sur mer afin d'écarter les vices qui sont sépultures des Hommes et prisons à perpétuité de leurs âmes.
Chapitre premier: commence une longue description d'appâts pour la pêche en mer, qu'il a dû lui-même essayer, étant militaire, car je doute que les pêcheurs aragonais aient été spécialistes de pêche en mer. Puis vient une longue litanie de vers d'eau, de lombrics, de grillons pour la pêche en eau douce et à quels poissons ils sont le plus destinés. La conservation de ces esches et leur préparation s'il y a lieu.

 

Un Canne jamais égalée.

Chasseur: "Bien, voyons, Je vous ai promis que nous irions pêcher sous peu.
Pêcheur: et vous voudriez une canne si j'en ai une en plus?
Chasseur: Si je veux apprendre ne me pretterez vous pas une des votres?
Pêcheur: Que voulez vous dire par "préter"? Je vous ferez une confidence: je ne vous préterais celle-ci encore que vous me donniez un trésor.
Chasseur: Pourquoi?
Pêcheur: Pour deux raisons: le première car je n'ai pas l'intention de m'arrêter de pêcher, l'autre pour les vertues de ma canne.
Chasseur: Quelles vertues?
Pêcheur: Cet un baton que j'ai coupé dans l'arbre de Jessé* et le scion à été fait à partir du coeur de la baleine qui avala Jonas le prophète, et la ligne fut tissée à partir des blancs cheveux que Dalila coupa à Samson pour lui voler sa force ... une canne ne peut être prétée à personne. Tout comme un chevalier refuserait de préter ses armes...

Chasseur: Mon Dieu, vous tenez votre canne en grand estime"
Une façon bien "cavalière" de s'adresser à un noble pour un roturier, mais la fiction permet toutes les audaces, même les plus improbables.
*: pour ceux qui ont pratiqué le cathéchisme-buissonier, cette image est inspirée de la prophétie d'Isaïe (Is. XI,1) prédisant que le patriarche Jessé donnerai naissance à une tige et une fleur annonçant la venue du Christ.

Au Chapitre IV, il décrit une mouche naturelle excellente pour la pêche qui intéresse les barbeaux mais aussi la truite " quand ceux-ci se trouvent dans la zone de vie de cette mouche". Une mouche qui ne sort que la nuit. Il conte qu'un pêcheur avec un fanal et un drap de lit en récolta tant qu'on aurait dit de la neige. Il fut plus content de cette récolte que de la capture du poisson lui-même. D'après la description j'ai cru qu'il s'agissait de la Manne (Oligoneuriela Rhenana). Mais au détour d'une phrase il mentionne un corps jaune, qui ne peut être qu'une mouche de mai. Mais comme celle-ci sort aussi le jour, je me demande s'il ne s'agit pas d'une erreur et de la description de deux mouches qui se télescopent. Ou alors, ce qu'il décrit comme un corps jaune, n'est autre que la poche d'oeufs orangés que la manne transporte avec elle, et que tout monteur se doit d'imiter sur ses modèles, encore aujourd'hui.
Une autre description très intéressante tient au dressage de la mouche artificielle, car il utilise la soie comme fil de montage du début à la fin de l'opération, remontant sur le corps pour dessiner les cerclages.
Une façon typique de faire des aragonais que Louis Carrère décrira et dessinera dans son livre sur la pêche à la mouche noyée, plusieurs siècles plus tard.
Puis nous trouvons une minutieuse description du posé pour éviter le dragage et donner une flottaison naturelle au fil de l'eau de l'artificielle, et surtout sans couvrir le poisson avec le bas de ligne, qui rappelons-le était fait de crins de cheval tressés et assez grossier.
Enfin, le noble chasseur séduit par le cadeau de ce livre, cadeau extrêmement cher à l'époque, et par le bel argumentaire de l'humble pêcheur, convie celui-ci à venir vivre chez-lui dans son hacienda.

Le Chasseur: " Bien, pêcheur, j'ai vu d'abord ton intention avant que la façon de me servir …. et je veux que mes remerciements sans fin restent en ta mémoire, comme ton traité qui demeurera pour toujours.
Et avec détermination, je ferai pour toi deux choses: une t'enlever à ce vice, et l'autre te prendre dans mes appartements et te donner à manger tout le temps de ta vie, plus tous les avantages, pour que tu sois heureux au maximum.

Le pêcheur: Senor, je vous remercie pour vos grandes offres, mais m'enlever de la rivière et ne plus pêcher, je n'y consens et c'est sans appel. Car si je ne pêchais plus, la mort, elle, me pêcherait.
C: Alors si tu le veux, que ce soit fait comme tu l'entends, prend tes biens et viens dans mes appartements.
P: Qu'entendez-vous par biens?
C: Tes biens, tes meubles.
P: Senor, ce que je possède, je l'ai sur moi.
C: Et pour vivre n'as tu rien d'autre?
P: Est-ce que je vous parais mécontent ou blasé, et qu'emporterais-je de plus quand je devrai partir (dans l'autre monde)? Comme vous le savez, personne ne s'en ira plus riche que moi, car tous laissent leur sac en ce monde, dans l'autre c'est celui qui est le plus méritant qui aura le plus.
C: Je crois volontiers ce que tu dis et je sais qu'en naissant et en mourant, nous tous sommes égaux; et de ce siècle, nous n'emporterons que les biens que l'on aura fait et les sacrifices que nous aurons offerts. Et sachant tout cela, je désire payer en t'assurant la vie si tu le veux.
P: Senor, ai-je l'air d'en avoir besoin, je ne dois rien à personne et je suis sûr de posséder tout ce que j'ai.
C: Je le vois bien ainsi, alors ne le laisse pas chez toi, et pour cette raison je veux que tu viennes chez moi. Et si un jour tu désires aller à la pêche, ce sera tout aussi possible.
P: De cette façon, je suis très heureux de recevoir de vous ces offres, pour lesquelles, Notre Seigneur vous reçoive bienheureux dans l'autre vie et vous garde et conserve comme vous le désirez (dans celle-là).
Amen
A Dios Gracias


Ainsi se termine l'œuvre de Fernando Basurto. Qui de nous ne désirerait pas tomber un jour sur un tel "sponsor"?




1500 On cite pour cette période un manuscrit en Bavière, propriété de l'abbaye de Tegernsee, recensant environ une quinzaine de modèles de mouches ne portant aucun nom. Mais le plus intéressant, c'est la description de mouches pour capturer les brochets ou les carpes, ce qui est présenté aujourd'hui comme le top de la pêche moderne.

1530 environ, un texte anglais conservé à la bibliothèque britannique de Harley (ref. 2389) décrit comment attraper les " trowte " ... de juin à juillet et aout dans la partie supérieur de l'eau (de la rivière) avec une mouche artificielle (artificiall, ce doit être la première mention de cette dénomination) fabriquée sur votre hameçon avec des soies de diverses couleurs comme les mouches (naturelles)..."

Enfin toujours en Angleterre et conservé à la bibliothèque Rawlinson de Bodleian (ref. C506), un manuscrit où sont décrites des mouches destinées à la capture de saumons et de truites.
" ... et si les poissons gobent, il faut habiller vos hameçons avec des plumes de perdrix ou des duvets de canards sauvages et vous devez regardez les couleurs de ces mouches (naturelles) et après vous devez mettre les mêmes couleurs de plumes et la même couleur de soie qui habille votre hameçon."


[b]1577 William Samuel "The arte of angling".
J'ai longtemps hésité à compter ce livre parmi les créations littéraires traitant de pêche à la mouche. Parce que justement il ne possède aucune référence à la pêche à la mouche. En revanche les studieux affirment que l'original possédait diverses planches de mouches malheureusement perdues a ce jour. Mais ce livre à fortement influencé l'œuvre de grands noms de la pêche comme Izaak Walton, John Dennys et Gervase Markham


William Samuel ( ? - 1580)
Il commença sa vie professionnelle comme vicaire de l'église St. Mary a Godmanchester. Elle y existe encore, et se situe sur la rive droite de la rivière à truite Ouse (Huntingdonshire). Il y officiera de 1549 à 1554, avant d'en être chassé par la Queen Mary. L'Angleterre ne cesse alors d'être secouée par des luttes religieuses entre partisans de Rome et protestants. La Queen Mary catholique intransigeante oblige William Samuel, protestant, à fuir à Genève (Suisse). Son église sera donnée aux sœurs bénédictines. Lorsque Elisabeth I, protestante, succède à la reine Mary, décapitée, elle réinstalle notre vicaire dans son église près de sa "home river" (1559). Il y restera jusqu'a sa mort.

1577 The arte of angling.
Ce livre fut considéré comme perdu, jusqu'a ce qu'un bouquiniste de Birmingham ne le redécouvre. Hélas, la copie, la seule connue à ce jour est en mauvais état. Non seulement les divers propriétaire ont jugé bon d'écrire sur la plupart des pages, mais il manque les premières feuilles. Ce fut impossible d'en connaître l'auteur pendant des années, jusqu'a ce qu'un bibliophile du Texas le trouve référencé dans un livre sur ... "l'Histoire des Serpents". D'après les studieux, les planches de mouches perdues de William Samuel seraient originales et non pas une copie de celles de Julyana Berners. Personnellement je ne vois vraiment pas ce qui peut leur permettre une telle déduction. Walton qui s'est inspiré de ce livre aurait, au moins, recopié une mouche originale de notre vicaire, alors qu'il s'est contenté de transcrire textuellement les douze mouches du Treatyse.

 

Première page de "The Art of angling"



Le livre est présenté comme un dialogue entre Viator et Piscator, ou le pêcheur explique toute la différence qu'il y a entre la pêche pour se nourrir qui serait plutôt un travail et la pêche de Gentleman pour se divertir. Ces deux personnages seront repris par Walton, en revanche la femme de Piscator " Cisley ", présente dans l'oeuvre de Samuel, une épouse particulièrement casse-pied, ne sera pas reprise dans l'oeuvre de Walton.
A noté une liste des treize qualités demandées à un pêcheur, patience, opiniatreté, respect, etc...
Il y a deux illustrations dans ce petit livre, la première représente une ligne flottante faite d'un crin de cheval tressé avec deux hameçons. Du 16 si le croquis est de grandeur réelle, difficile avec les moyens de l'époque de descendre aussi bas. Le flotteur est formé de deux quills de plume de cygne. La seconde illustration représente deux anneaux qui se chevauchent un peu comme un 8. Dans le plus petit, deux anciens propriétaires du livre ont écrit leurs noms. A l'intérieur du plus grand, on peut lire une phrase en grec. C'est le croquis d'un anneau qui aurait été attaché aux ouïes d'un brochet le premier jour d'octobre 1230 et relaché dans un lac proche de Haslepurn, la cité impériale de Suède. Le message écrit par l'évêque de Worm, Johan von Dalberg était le suivant: " Je suis le premier de tous les poissons, mis dans ce lac par Frédéric II, maître du monde ". Et Samuel d'expliquer que ce brochet fut à nouveau capturé en 1497, soit 267 ans plus tard. " s'il n'avait pas été capturé il aurait pu vivre encore plus longtemps " n'hésite pas à préciser Samuel. Cette histoire vous avez pu la lire expliquer de différentes façons car elle est reprise dans bon nombre de livres de pêche et notamment dans le "Nomenclator aquitilium animantium" et recopié régulièrement depuis. Le plus fantastique c'est que le squelette de ce brochet aurait été conservé dans la cathédrale de Mannheim, et possédait un nombre assez prodigieux de vertèbres.
Ceci nous éloigne certainement de notre pêche à la mouche, mais je pense que l'anecdote était trop belle pour ne pas être racontée. Izaac Walton n'hésite d'ailleurs pas à la recopier dans son livre.

Le merveilleux de cette époque était justement que le merveilleux et le fantastique n'était jamais trés éloignés de l'Historique et du scientifique.

 


Les Cinq magnifiques

La période de la guerre civile (Civil War 1639-1651), outre son cortège de morts, de tortures et d'éxils a provoquer l'apparition de cinq personnages qui écriront de merveilleuses pages sur notre pêche à la mouche. Quel que soit le parti choisi, il se sentiront bessés, trahis, et seront même parfois emprisonnés.
Ces cinq personnages feront comme les grands mamifères marins qui un temps ont choisi la vie terrestre avant de retourner, pour leur propre salut, vers les eaux salvatrices. Ce fut le retour à la rivière pour Izaac Walton, Charles Cotton, Colonel Robert Venables, Thomas Barker et Richard Franck. Je les ais appellé:
les Cinq magnifiques.


1659 Thomas Barker

Il est né et a grandit dans le Shropshire. Il fut parlementaire, et bien sur pris le parti du parlement contre son roi. Walton le citera dans son oeuvre monumentale, ce qui à l'époque et surtout de la part de Walton, n'était pas très fréquent. Il n'y a pratiquement rien de plus comme information sur la personne et la vie de Thomas Barquer que le peu que lui même a révélé dans son livre.

1659 Les plaisirs de Barker ou l'art de la pêche.
Ou sont découverts beaucoup de rares secrets pour apprendre tout les plaisirs du loisir de prendre du poisson et de les préparer. (deuxième édition)

Ce long titre, comme il était d'usage à cette époque, nous apprends deux choses: la première que Thomas Barker est persuadé de connaître des secrets et qu'il va nous les révéler. La seconde que ce sera aussi un livre de cuisine afin de préparer ses prises. Il est imprimé par Humphrey Moseley à Londres et, comme pour l'œuvre de Fernando Basurto, il est adressé à un personnage de noble lignée Edouard Lord Montagne, général de la "Navy" lords commis au trésor.
La présentation de l'œuvre est tout à fait originale car chaque chapitre est suivi d'un résumé en vers. Même la lettre d'introduction à son noble ami est suivie de son résumé versifié. Thomas nous apprends donc qu'il est vieux lorsqu'il entreprends la révélation de ses secrets de pêche, "vieux tant pour la pêche de jour que de nuit". Il nous assure qu'il a pris autant de plaisir à monter son matériel et ses mouches que d'utiliser celui-ci à la pêche. Barker ne connaît pas la modestie, non seulement sur la valeur de ses secrets révélés, mais il nous précise aussi qu'il était capable de "fournir" n'importe qu'elle table de Lords en poisson pour au moins 16 à 20 convives (plats).
Barker ne se contente pas de donner des conseils sur les différentes techniques pour tromper toutes sortes de poissons avec toutes sortes d'appâts, il nous livre aussi leurs recettes de cuisine accompagnée de leur résumer en vers.
Le premier moulinet
Il est le premier à décrire l'ancêtre de nos moulinets et accompagne son texte d'un croquis absolument incompréhensible. Il faut reconnaître que malgré la polémique qui le sépare de Walton, pour qui il a eu des paroles très dures, la philosophie de la pêche les fait encore coincider: "The gentlemen angler that goeth to the river for his pleasure". Il pêche pour le plaisir et non pour accumuler les prises.
Pour tout ce qui nous interesse plus particulièrement, sa connaissance de la mouche, il nous explique que "to angle with a flye, which is a delightfull sport", c'est un sport délicieux. La canne doit être légère en un seul morceaux ou à deux brins à emboîtements. La ligne doit être discrète et

oui se terminer à deux ou trois crins de cheval. Il nous prévient quand même, et c'est du vécu, que si l'on peut la terminer avec un seul crin, on pourra attraper (to kill) beaucoup de poissons. Pour la pêche de nuit, il conseille une ligne commençant par quatre brins, deux de soies mélés à deux crins de cheval et terminant en trois brins, un de soie et deux crins.
Ayez le vent dans le dos (méthode du dapping), afin de mesurer la longueur du lancer et de s'assurer que la mouche arrive devant le poisson avant le bas de ligne (ne pas couvrir le poisson). Le soleil tout comme la lune, car il pratiquait beaucoup la nuit, doivent être en face, "ayez grand cure de celà". Ce sont ces recommandations que l'on retrouve dans le livre de Walton.

 

Et enfin la mouche: y sont décrites toutes sortes de "palmers", palmer noir avec cerclage de tinsel argent, palmer noir et corps orange, et la fameuse "Red Palmer" qu'utilisaient déjà les Macédoniens d'Alien. Pour chaque mois nous avons droit à quatre à cinq mouches décrites.
" Il y a beaucoup de bonnes fourrures qui fournissent de bons corps: et maintenant j'utilise beaucoup de la "laine" (bourre) de sanglier, je trouve qu'ainsi elles flottent mieux et procure un meilleur sport".
C'est la magie de la sèche toujours recommencée ... mais en dapping. Sans peur de se contredire, notre homme nous confie à la suite que la mouche naturelle est plus prenante et donne plus de plaisir. Et il continue pour son Lord préféré, une longue description des mouches naturelles et de leur capture.
Il raconte par exemple la préparation d'un cadavre enterré avec deux ou trois jaunes d'œuf qui ressemble à s'y méprendre à la préparation de l'italien Eugenio Raimonudi Bresciano (1621) déjà cité. .
Un jeu d'un goût douteux
Thomas Barker nous gratifie d'un jeu qui l'a beaucoup amusé. Capturer un gros brochet et l'attacher à un canard ou à une oie afin de les voir tirer chacun de son côté pour se libérer "avec une panique aveugle". Heureusement pour lui et malheureusement pour ces animaux, le cortège des défenseurs de la nature était bien plus discret à cette époque que de nos jours.
Et de préciser "un noble gentleman du Shorpshire le pratiquait pour amuser ses amis".
Un secret révélé
Et enfin dans le dernier paragraphe, l'auteur avoue un secret qu'il découvrit sur le tard. Mais s'il l'avait découvert 20 ans plus tôt, il lui aurait fait gagner des "centaine de livres". Un appât merveilleux, le meilleur pour la capture des truites.
Mais qu'est-ce donc vous dites-vous?
L'Oeuf de saumon -et oui- vraiment imbattable selon Thomas Barker, et aussi pour nos instances de pêche qui l'on interdit partout.




1593- 1683 Isaac Walton

James Prosek, dans son livre "The Complet Angler" raconte, comment lui, le yankee du Connecticut, est allé en Angleterre faire un pèlerinage sur les pas de son maître, Isaac Walton. Il écrit plusieurs fois que Walton est l'auteur d'un livre dont tout le monde parle, mais que personne n'a lu. Je lis un autre ouvrage sur l'histoire de la pêche à la mouche; cette fois, son auteur y affirme qu'Isaac Walton a écrit un livre de pêche à la mouche. C'est totalement faux bien sûr car il ne pêchait pas à la mouche.
Et si Prosek, avec sa provocation toute américaine, avait raison?
Si d'auteur le plus lu, Walton était devenu aujourd'hui: "celui dont tout le monde parle, mais que personne n'a lu".



Isaac Walton naît à Stafford; Elisabeth 1ère est alors reine d'Angleterre et Shakespeare est âgé de trente ans, il vient de publier Vénus et Adonis.
Il est impossible d'écrire quoique ce soit sur notre Walton sans faire référence à l'histoire d'Angleterre et aux drames de la guerre civile ( 1639-1651) qui bouleverseront à jamais une petite vie bourgeoise (Yeomen en anglais), qui pourtant, était toute tracée.

Isaac Walton est anglican, la religion du roi. Malgré le schisme qui a séparé le christianisme anglais de l'église de Rome, les anglicans conservent une liturgie et une pratique religieuse toute empreinte du culte de Rome. Charles I désire l'imposer à tout le Royaume-Uni. Les Écossais, presbytériens, refusent le dictat de Londres. Le roi demande alors à son parlement de débloquer des fonds pour lever une armée et partir en guerre contre l'Écosse. Le parlement refuse, et s'ensuit une vraie guerre entre le roi et ses partisans d'un côté, et le parlement anglais allié aux Ecossais de l'autre. En Irlande les catholiques se soulèvent aussi. Ce n'est pas un grande guerre: les historiens comptent que chaque armée n'arrivera jamais à lever plus de 13000 hommes. Le reste du pays préférant ignorer ces combats. Mais quand les Écossais descendront de leurs Highlands et rentreront dans Londres, ils décapiteront le roi. L'exécution du roi entraîne une vrai répression contre les anglicans.

Isaac Walton est un bon bourgeois, drapier de profession[/b], que l'on pourrait traduire plutôt par quincaillier aujourd'hui, car il vend de tout et son commerce est florissant. C'est un intellectuel, il a déjà écrit une biographie en 1640, "Life of Donne". C'est son premier livre. John Donne était pasteur, poète et bien sûr anglican, très influent à son époque. Walton publiera dans la foulée un recueil de ses sermons. Avoir écrit et publié un livre faisant l'éloge d'un chantre de l'église anglicane pouvait coûter très cher en pleine guerre civile. Isaac Walton, écœuré par ses contemporains qui continuent à s'entretuer, désespéré par la mort de son roi, ferme boutique et s'exile dans le sud de l'Angleterre demeuré plus calme. C'est le pays des Chalk-streams, autour de Winchester. C'est là qu'il s'adonnera à l'art de la pêche à la ligne.
Libre de tout engagement familial, veuf par deux fois et ayant perdu tous ses enfants en bas âge (7 pour son premier mariage), son commerce lui ayant permis de mettre de côté un petit pécule, il ne vivra plus alors que pour la pêche et pour donner libre cours à sa soif de culture.
Il fréquente les tavernes ou se réunissent pêcheurs et intellectuels, non pas pour boire car c'est un ascète, mais pour chanter, ce qui se faisait beaucoup à l'époque. Il publie des recueils de chanson et son Traité de pêche, édité pour son 70ème anniversaire, est ponctué de chanson. Il rêve de réveiller le goût de la pêche chez ses contemporains, car, tout comme ses prédécesseurs, il est persuadé que c'est dans la contemplation de la nature et de l'œuvre de Dieu que l'on atteint la plénitude d'esprit. Il publiera de nombreuses autres biographies, notamment celle d'un autre grand poète, qu'il a connu et fréquenté: Georges Herbert, grand musicien de surcroît.

Bien qu'il ait mis autant de cœur et de sérieux dans la rédaction de son ouvrage de pêche que dans ses biographies, il n'est pas sûr que Walton ait pu penser un seul instant que ce serait s deux monumentales biographies de Paul Valéry et d'Aragon et qui soit reconnu surtout comme étant l'auteur d'un traité de pêche.
Je n'ai pas pu savoir, malgré de nombreuses recherches, si l'édition à cette époque pouvait permettre une certaine aisance financière.
Gageons qu'Isaak Walton su gérer sa bonne fortune, ce qui lui permis de vivre et pêcher une grande partie de sa vie. Il la quitte un 25 décembre à 90 ans, un âge plus que respectable aujourd'hui, mais qui était un véritable record à son époque.
Peut-être avait-il raison lorsqu'il prêchait qu'une vie saine de contemplation et de pêche portait à l'éternité. Saura t'on être assez sage pour suivre son exemple?

Vitrail de la chapelle ou est entérré Izaac Walton a Winchester. Une aquarelle de James Prosec tirée de son livre " The complete angler", publié avec l'aimable autorisation de l'auteur.

1653 The Compleat angler or The contemplative man's recreation.

or the complative man's recreation:
being a discourse of rivers, fishponds, fish, and fishing not unworthy the perusal of most anglers



" C'est la doctrine de l'art pour l'art, chanté par un classique pêcheur à la ligne et si grand artiste qu'il chantait en un anglais le plus doux et le plus musical qui soit".
Miguel Unamuno ( Essais 1904)

 

 

The complete angler, première page, col. Agustí Jausas Barcelona.





1653 date de la première édition, puis sans cesse rééditée avec corrections et additifs, jusqu'a l'édition du texte définitif en 1676, 300 ans plus tard on comptera plus de 400 réeditions de ce livre.
La pêche à la mouche n'apparaît que dans la cinquième édition, du vivant de Walton, mais le chapitre est signé par son grand ami, Charles Cotton et a été réédigé à la demande de Walton lui-même.

Le parfait pêcheur à la ligne ou le loisir de l'homme contemplatif.


Je ne peux commencer ce texte sans préciser, comme l'ont déjà fait tous ceux qui ont écris sur l'œuvre d'Isaac Walton, que c'est le livre qui a été le plus édité et réédité au Royaume-Uni après la bible ... et ce qui est malheureusement toujours oublié, après les oeuvres complètes de l'incomparable Shakespeare. Les pêcheurs s'adonnent à un jeu puéril: la capture du poisson que les non-pêcheurs ont toujours tendance à ridiculiser ou à minimiser. Ces multiples rééditions, dans un pays aussi culte que le Royaume-Uni, donnent à notre passion de véritables lettres de noblesses en même temps qu'elles soignent notre complexe de sportif non reconnu.
"Le parfait pêcheur à la ligne ou le divertissement du contemplatif" est une conversation entre un pêcheur passionné "piscator" (en fait Izaac Walton lui-même) et celui qui deviendra son disciple "Venator" le chasseur. Il le convertira au fil des pages non seulement à la pêche à la ligne, noble sport, mais à la philosophie de cet art. Ce qui donne à cette œuvre de divulgation et d'apprentissage toute sa fraîcheur et tout son attrait. Attrait qui dépassera largement le seul cercle des amateurs de pêche à la ligne.


Illustations "The Complete angler" Troisième édition, deuxième partie signée par Charles Cotton. Col. A. J. Barcelona.


D'autres personnages interviennent dans la conversation: Coridon, Arceps un autre chasseur, Maudlin la laitière, une Hôtesse. Il existe un tel culte pour cette oeuvre en Angleterre que des statuettes de tous ces personnages existent pour décorer les bibliothèques. Mais Vénator le disciple (scholar), est le personnage le plus important après Piscator. Comme l'aragonais Fernando Basurto et William samuel qui ont utilisé ce style littéraire avant lui, le livre est présenté sous la forme d'un dialogue d'abord entre Piscator, Venator et Auceps, le fauconnier. On a voulu trouver dans l'œuvre de Walton, une copie ou pire un plagiat de ces deux œuvres précédemment citées, je préfère dire qu'il s'en est inspiré sans doute, car l'œuvre de Walton est tellement originale et complète quelle mérite largement les éloges qu'elle a reçues au fil des siècles.

Piscator s'est dépêché pour rattraper ses deux acolytes sur la route de Ware. Il veut les convaincre que l'art de la pêche est bien supérieur à leur deux occupations princières. Mais ce sont ses deux amis qui ouvrent le feu:

Venator: … j'ai suivi bien des meutes pendant des milles et des milles: or j'ai entendu beaucoup de joyeux chasseurs plaisanter et railler les pêcheurs à la ligne.
Auceps: pour moi, je me proclame fauconnier et j'ai entendu nombre d'hommes sérieux et graves assurer qu'ils les tenaient en pitié tant leur divertissement est triste et méprisable.
Piscator: Il est facile, messieurs, vous le savez, de railler quelque art ou divertissement que ce soit, il suffit, pour cela, d'un peu d'esprit mêlé à quelque méchanceté, confiance en soi et perversité naturelle… que les railleurs continuent de railler si bon leur semble; qu'ils persistent à s'inscrire parmi les moqueurs; mais je les tiens alors pour ennemis et de ma personne et de tous ceux qui aiment la vertu et la pêche à la ligne …. Monsieur, nous jouissons d'un bonheur bien supérieur à celui auquel de pareils tempéraments peuvent atteindre".

.


Illustration du Compleat Angler Col. Privée Agustí Jausas

Il explique toutes les techniques de pêche en cours à cette époque et présente tous les poissons un par un, les appâts pour les prendre, et surtout leur mode de vie, leurs goûts et trouve à tous des qualités et des vertus bien particulières. Pour les insectes, les notions entomologiques de l'époque en surprendront plus d'un. Mais si certaines éphémères ne naissent pas dans les gouttes de certaines rosées du matin (citation de Pline) avouez que ces petites fées de nos ruisseaux le mériteraient amplement.

Enfin, Walton est un épicurien, dans le sens noble de la parole, tel que Michel Onfray les décrit; c'est-à-dire qu'ils savourent la vie, qu'un simple bout de fromage ou une tranche de porc salé mangés en bonne compagnie au bord d'une rivière après une partie de pêche, c'est la recette du bonheur. Il raille les riches qui travaillent pour accumuler des richesses et ne savent pas profiter des choses simples qu'offre la nature: "La terre n'est pas a ceux qui la possèdent mais à ceux qui savent l'observer et l'aimer".
En deux mots: aux contemplatifs.



Bibliographie:
THE LIFE AND DEATH OF DR. DONNE, 1640 (revised and enlarged in 1658)
THE LIFE OF SIR HENRY WOTTON, 1651
THE COMPLEAT ANGLER, 1653 - Oivallinen onkimies
THE LIFE OF MR. RICHARD HOOKER, 1665
THE LIFE OF MR. GEORGE HERBERT, 1670
THE COMPLETE WORKS, 1929
IZAAK WALTON: SELECTED WRITINGS, 1997

La mouche chez Izaac Walton

 

 

 

 

Une des dernières éditions de 2005
Coachwip publications
Landisville, Pennsylvania



Quel bonheur pour nous pêcheurs, que d'avoir Walton comme avocat. Le langage est d'une fraîcheur et d'une modernité qui rend difficile le choix de textes.

Walton cite Montaigne, Salomon, Pline, la Bible… il recopie des poésies, conte des légendes et des anecdotes à profusion, loue le souvenir de pêcheurs célèbres et retranscrit les paroles de nombreuses chansons qu'il chante au bord de l'eau pour son disciple. Walton adorait la chanson qu'il pratiquait avec ses amis dans les tavernes et vouait une véritable passion pour la musique; il cite d'ailleurs Mgr. Waller et son éloge de la musique. Walton est un érudit assoiffé de culture, et toute cette érudition n'a qu'un but: louer les rivières et leurs habitants et donner à tous le goût de la pêche.

 

Izaak Walton




Venable: " Et, maintenant, mon bon maître, venez-en aux renseignements que vous m'avez promis sur la fabrication et l'ordonnance des mouches artificielles".
Piscator: "remarquez qu'il existe douze sortes de mouches artificielles avec lesquelles on peut pêcher à la surface de l'eau. Notez en passant que le moment le mieux approprié à leur emploi est un jour orageux et venteux où les eaux sont à ce point troubles que la mouche naturelle ne peut ni être vue ni posée sur les ondes"
Izaac Walton n'était pas pêcheur à la mouche, aussi prend-il ses précautions avec de traiter de ce thème et précise les noms des grands moucheurs du moment qui l'on renseigné sur cette pratique. C'est grâce à eux qu'il a rédigé ce chapitre.
Mais il tient l'art de la mouche en haute estime:
"Je l'avoue, il est impossible de donner des indications permettant à un homme de faible intelligence la fabrication d'une mouche de belle allure".

 



Il décrit douze mouches, en fait ce sont encore et toujours la copie conforme de celles de Dame Julyana Berners. Il précise qu'elles suffisent pour prendre du poisson toute l'année "bien qu'un gentleman ne peut attraper de truites de noël jusqu'en mars".
Mais il précise quand même :
" ... un intelligent pêcheur à la ligne pourra se promener sur le bord de la rivière et repérer les sortes de mouches qui tombent sur la rivière ce jour-là, et qu'il en attrape une s'il voit les truites foncer sur une mouche de cette catégorie. Et puis il aura toujours sur lui des hameçons prêts et une gibecière contenant des poils d'ours ou ceux d'une génisse brune ou de quelque couleur mélancolique (sic), des plumes de coq ou de chapon, plusieurs écheveaux de soie colorée ou des pelotes de laine pour fabriquer le corps des mouches, du plumage d'une tête de canard, de la laine de mouton noir ou brun, de la laine de verrat .... etc."
" .. et s'il parvient à fabriquer sa mouche en de bonnes conditions, et s'il a la chance aussi de rencontrer une bande de truites par une journée obscure et par un vent convenable, il en prendra de telles quantités que cela l'encouragera à devenir de plus en plus amoureux de l'art de la fabrication des mouches".

Et le disciple et fougueux Vénator de conclure: " ... alors j'exprime le vœux de me rendre en Laponie pour y acheter un bon vent à une des honnêtes sorcières qui vendent là-bas des vents et à si bon marché!". Remercions les, car nous savons maintenant ce qu'il nous reste à faire si le temps ne se porte pas à la pêche à la mouche .....


Illustration de "The Complete Angler" troisième éditon. Col. A. J. Barcelona

Puis viennent les conseils de présentation: ne pas faire draguer la mouche ou tisser un bas de ligne en crin de cheval le plus fin possible afin qu'il ne soit pas vu du poisson.

 
Conclusion


Walton, en glorifiant l'art de prendre du poisson, le transformera en "passe-temps honorable" de la noblesse et de la haute bourgeoisie (qui tend toujours à lui ressembler). Pour cette raison, les rivières du Royaume-Unis et leurs habitants aquatiques seront toujours respectés et "contemplés" avec d'autres yeux que sur le continent. Les merveilleux Chalk streams de l'Hampshire seront ennoblis et surtout adorés comme de véritables joyaux.
L'emblématique Test river entre dans Southampton, ville immense, et ressort aussi claire et pure qu'elle y est entrée. Ce qui est impensable chez nous. En France, la pêche sera considérée pendant des siècles comme une simple cueillette tout juste bonne à se nourrir gratuitement. Nos rivières seront, jusqu'à nos jours, de simples voies gratuites et fortuites pour éloigner nos déchets et nos souillures de notre devant-de-porte. En Espagne, et malgré une littérature halieutique précoce, ce loisir considéré décadent y sera extrêmement mal vu, au contraire de la chasse par exemple. Un vrai passe temps de fainéants. Les rivières y seront désertes pendant des décennies ce qui sera un véritable bonheur pour les Français qui auront su les découvrir à temps. Mais, aujourd'hui encore, la plupart des villages espagnols et catalans déversent dans leurs cours d'eau toutes leurs eaux usées. Pourtant les rivières du Léon ou le magnifique Sègre, une fois propre, n'auraient rien à envier aux meilleurs Chalk-streams anglais.
Dans les pays nordiques et en Autriche, on saura se réveiller à temps, mais dans le seul soucis d'attirer un tourisme fortuné. En France, le tourisme-pêche ne sera jamais pris au sérieux malgré un réseau hydraulique remarquable.
Tout cela parce que nous n'aurons pas eu d'Isaac Walton, ou peut-être parce que nous l'avons découvert beaucoup trop tard.




Références:
Le parfait pêcheur à la ligne
Izaac Walton
Edition: Jerome Millon 134 chenin de l'étoile 38 330 Montbonnot-St-Martin

The Complete angler
A connecticut yankee follows in the footsteps of Walton
James Prosek
Edition: Harper Collins Publishers

The compleat angler
Izaak Walton
Ed: Jonquil Bevan 1993

Le parfait pêcheurs à la la ligne
Miguel de Unamuno
Essais 1904

The origins of angling: An inquiry into the early history of fly fishing with a new printing of "The treatise of fishing with an angle".
John Mc Donald
New York: Lyons and Buford 1997

Charles Cotton (28 avril 1630 - février 1687)

Charles Cotton n'est qu'un adolescent lorsque éclate la guerre civile, et il a 19 ans lorsque le roi sera décapité. Il le vivra comme une tragédie.

Contrairement à Izaak Walton qui est un grand intellectuel mais autodidacte, Charles Cotton est né dans une famille de grands propriétaires terriens et fit de grandes études dans les meilleures écoles anglaises. Il connaît l'italien et le français aussi bien que les grands classiques.
Son père fréquentait déjà les milieux littéraires de l'époque. A la mort de celui-ci, il hérite de grandes propriétés a Bentley et Beresford. Cette dernière traversée par la Dove river, une excellente rivière à truite et ombres. Il s'y essaiera avec succès à l'art de la pêche à la mouche et à l'étude des " May Flies " dans le sens que lui donne les anglo-saxons, c'est à dire les éphémères en général.
Lorsque Cromwell meurt la monarchie est restaurée et Charles Cotton est appelé à servir son nouveau roi. Il vit alors entre Londres et ses propriétés, mais la pêche avec son ami Izaak Walton le passionne autrement.


Illustration "The Complete Angler Troisième édition, deuxième partie signée par charles Cotton. Col. A. J. Barcelona.

Grand intellectuel, passionné par les Essais de Montaigne. Il leur consacrera trois volumes d'études après les avoir traduits en anglais*. Mais son premier livre publié est une satire érotique "Scarroniches" ou le Virgile travesti qui lui valu autant de critiques négatives qu'il eut de succès. Jusqu'à 15 rééditions de son vivant.
Malheureusement, la pêche, la poésie ou il excelle et connaît un succès certain et la pêche à la mouche, cela ne nourrit pas son homme. A la mort de sa première femme qui le laisse avec huit enfants, il refait un "beau" mariage qui le sauve de justesse de la banqueroute. Il publie ses poèmes "The wonders of the people" ou l'on retrouve c'est amour épicurien de la vie, de la nature et le plaisir de se retrouver entre amis. Un goût qu'il partage avec Izaak Walton.


 

 

Charles Cotton




Les biographes de ses deux compagnons inséparables se demandent encore aujourd'hui si leur amitié est née après une rencontre à la pêche sur la rivière Dove. Nous pouvons être sur que malgré la différence d'âge, ces deux personnages hauts en couleurs étaient fait pour se rencontrer comme Montaigne et La Boètie. Si aujourd'hui la rencontre de pêcheurs capables de discourir des heures sur la chute de cheval de Montaigne et son influence sur sa perception de la mort est plus que rare, imaginez au dix septième siècle dans la campagne anglaise! Walton et Cotton partageait aussi cette passion.
Tous deux, ils bâtirent un temple de pêche sur les bords de la rivière Dove, à Beresford Dale près de Hartington, ils le baptisèrent "Piscatorium Sacrum".

 

Le Fishing temple d'Izaac Walton et Charles Cotton, une aquarelle de James Prosek publiée dans son livre "The Complete angler". Avec l'aimable autorisation de l'auteur.
Situé sur les terrains privés d'un propriétaire plutôt irascible, agacé d'être constamment sollicité par des pêcheurs rêvant de voir de près ce lieux de pèlerinage. Le bruit courrait que le "Fishing Temple" avait été détruit. Il n'en est rien, l'écrivain James Prosek, lors du tournage d'un film sur la vie d'Izaak Walton, a eu l'autorisation, de le filmer. On peut l'y voir s'asseoir et méditer sur le même banc où Walton et Cotton le faisait il y a plus de trois cents ans.
A la demande de Walton, Charles Cotton rédigera le chapitre sur la pêche à la mouche qui viendra enrichir la cinquième édition du "Perfect Angler". Il a pour titre " Instructions pour la pêche de la truite ou de l'ombre en eau claire " (1676). Sur la couverture les initiales des deux pêcheurs reproduisent le sigle gravé au dessus de la porte du "Fishing Temple".

 

 

Les iniciales du Y et W et des deux C mélés de Yzaak Walton et Charles Cotton



Malheureusement, le temps impartie à la pêche ne se transforme jamais en espèces sonnantes et trébuchantes, et quelques 6 ans avant sa mort (à peu près au moment de la disparition de Walton), Charles Cotton est obligé de vendre ses propriétés du Staffordshire et surtout la Dove River, sa "Home River".
La dilapidation de l'héritage familial lui aura permit de vivre exactement comme il le désirait se partageant entre ses amis, la pêche à la mouche et la littérature.
Il est enterré dans la St. Jame's church de Picadilly à Londres.

* Une des dernières rééditions des Oeuvres de Montaigne par Charles Cotton a été illustrée entièrement par Salvador Dali, autre grand amateur de notre philosophe gascon.

1676: Instructions pour la pêche de la truite ou de l'ombre en eau claire.


En Espagne, nous l'avons vu, les mouches ont connues une évolution et une transformation constante jusqu'aux mouches excessivement compliquées du Manuscrit d'Astorga. Étrangement en Angleterre elles ne connurent aucun changement pendant les 400 ans qui séparent le manuscrit de Dame Julyana et les écrits de Charles Cotton.
Cotton continue donc l'œuvre de Walton, dans le même style littéraire. Piscator rencontre Viator sur son chemin, le premier qui n'est autre que Charles Cotton lui-même confie au second qu'il connaît Walton et qu'il le tien pour la personne la plus merveilleuse au monde. Du égard à son âge il l'appelle père. Viator, en verve de confidence lui dit en retour qu'il n'est autre que le Vénator de l'œuvre de Walton, le fameux disciple initié aux choses de la pêche. Ce clin d'œil en chassé croisé entre personnage réel et fiction sera la seule entorse humoristique que se permettra le très sérieux Charles Cotton. Il profite quand même de l'aubaine d'être aussi attentivement écouté pour décrire le havre de pêche qu'il a construit avec Walton. Preuve, s'il en fallait, de l'importance qu'il donne à cette construction, alors qu'il possède sur ses terrains quantité de dépendances.
Il décrit les rivières de son territoire, car Viator est un pêcheur de rivières Londoniennes. Il explique les mœurs de la truite et de l'ombre, mais avoue que si Thimalus est excellent dans l'assiette, il le tient pour un poisson "au cœur le plus inactif et inerte du monde". Car plus grand il est, plus facile en est sa capture (il se fatigue vite au bout de la ligne). Jugement que nos inconditionnels de la pêche de l'ombre n'apprécieront sans doute pas.
D'après lui, les eaux du Dove sont " les plus claires, et les plus propres du royaume, et cette excessive transparence oblige à pêcher avec des appâts (imitations) plus petits et à se tenir plus éloigné des berges que partout ailleurs.
Dans sa longue description des mouches à utiliser pour chaque mois de l'année, le lecteur découvre, pour la première fois, qu'il existait différents montages et monteurs suivant les régions pêchées. Que les mouches vendues à Londres étaient bien trop fournies aux goûts de Cotton. La Yelloxw Dun, Little Brown, Brigh Brown, Dark Brown ont toutes été utilisées jusqu'a nos jours. Les matériaux utilisés sont de plus en plus complexes aussi, de la soie d'oreille de porc aux poils "violets" de chèvres angoras en passant par les poils de chien, et bien sur tous les oiseaux possibles et imaginables.
Enfin, Viator apprends à pêcher, mais lorsque Cotton lui enseigne de rejeter les truites trop petites celui-ci s'y refuse absolument. "Elles sont à moi". Vieux dilemme!

 


Joseph Crawhall illustration in Izaak Walton: His Wallet Booke (London, 1885)



Et comme jadis à fait un roi anglais, qui, au milieu d'un champ de bataille, offrit son royaume pour un cheval, Viator casse sur une belle truite et jure qu'il aurait donné sa couronne pour ce magnifique poisson. Clin d'œil à l'histoire d'Angleterre ou à l'œuvre immortelle du contemporain Shakespeare?
Rappelons que la mouche montée et dressée directement sur un bas de ligne en crin de cheval demandait au pêcheur une adresse et une patience à toute épreuve. Piscator rassure son ami en lui disant qu'il lui donnera tout le matériel et les explications nécessaires pour faire ses mouches lui-même, car "le plaisir d'attraper un poisson sur une mouche faite soi-même et bien supérieur à celui d'en capturer vingt avec la mouche d'un autre". Viator tombe en admiration devant le matériel de pêche de Cotton-Piscator, "aucune boutique de Londres ne peut en réunir autant".
Charles Cotton pêchait avec une canne de 10 à 12 mètres, un record à l'époque, comme elle était de bois et à emmanchements, elle devait peser un poids considérables. Il ne faut pas se laisser tromper par son portrait de noble en perruque. Il devait être taillé comme un lutteur de foire.
Mais il confie à Viator que la canne de ses rêve est fabriqué et vendue dans le Yorkshire, elle est souple, légère, en huit brin de bois de pin. Le bois est huilé, et peint comme le préconise, Walton dans ses écrits. Renforcée par de la soie et maintenue dans un endroit sec, elle pouvait durer plusieurs parties de pêche. Car les pêcheurs cassaient beaucoup de cannes. Quelquefois plusieurs dans la même partie de pêche. La ligne doit toujours se terminée par deux crins de cheval tressé, il faut rajouter un brin tout les trente centimètre et terminer par sept brins. La ligne doit être de la même longueur que la canne sauf si le vent est fort, il faut alors en profiter pour pêcher plus loin.
Mais Charles Cotton n'est pas ami de Walton par hasard, il est tout comme lui un disciple d'Épicure. Il laisse Viator continuer sa pêche et court cuisiner le poisson déjà capturé. Et comme Viator lui jurera qu'il n'a jamais rien mangé d'aussi bon que ses truites et ombres, Piscator en profite pour nous donner toutes ces recettes. La pêche pour Walton et Cotton ne se conçoit que dans les preuves de camaraderie, le partage du savoir et assis sur les berges d'une jolie rivière en rompant le pain pour savourer un bout de fromage en toute amitié.

Autre comparaison que je ferais avec l'Espagne de l'époque, la noblesse anglaise à l'air beaucoup moins prétentieuse et collet-montée, elle cuisine, elle discours avec des roturiers pêcheurs presque d'égal à égal, et elle s'émerveille devant les choses simples que nous offrent la vie. Rien à voir avec une noblesse castillane, élitiste et hautaine qui oblige le petit peuple à s'adresser à elle avec déférence et soumission. En tout cas dans notre petit monde de la pêche à la mouche.
1653: Instructions how to angle for a trout or a grayling in Clear Stream

 

1624 - 1690 (environ) Richard franck
Né a cambridge, sous le règne de James VI. Il se différencie de ses contemporains passionnés de pêche, Charles Cotton ou Izaac Walton, par sa très petite éducation. Ses études ayant été interrompues par la Guerre Civile où il servira dans la cavalerie au grade de capitaine.
A la grande différence des autres auteurs halieutiques de son époque, il pratiquera ce que l'on appelle aujourd'hui le voyage de pêche. Il écrit un premier livre " Northern memoirs" dans lequel il raconte un voyage en Ecosse, ce qui était à l'époque toute une expédition. Il fallait deux jours et demi pour faire Londres-Birmingham. Richard Franck est un pêcheur de saumon à la mouche, et décrira son art, ses techniques et ses parties de pêche avec force anecdotes. Il partira aux Amériques à la mort de Cromwel et ce sera très certainement un des premiers a y pratiquer la pêche sportive. Il y écrira deux autres livres. Autre différence avec ses contemporains Charles Cotton et Izaac Walton, si le retour de la monarchie au Royaume-Uni réjouira ces derniers, Richard Franck, lui, déjà engagé auprés des troupes gouvernementales et tout empreint de culture libérale américaine vivra cela comme une véritable tragédie. Il retournera quand même finir sa vie en Angleterre pour y publier ses livres. Le premier ayant était écrit près de trente ans auparavant.


1658 Northern Memoirs.
Richard Franck pratiquait la pêche du saumon à la mouche, et fut très certainement un des premiers à en faire une spécialité. Il est en tout cas le premier à décrire son art et à expliquer en détail ses techniques. Comme chacun le sait, le saumon ne se nourrissant pas en eau douce, sa pêche est très complexe et aléatoire. Comment provoquer son agressivité, sa curiosité ... ou réveiller chez lui ses sens ataviques de nutrition? Richard Franck nous fait par de ses réflexions, quelque fois très empiriques et raconte avec forces détails et anecdotes ses parties de pêche. Imaginez un seul instant, qu'il fut très certainement le premier à pêcher, seul, les rivières à saumon d'Amérique du nord. Ces rivières n'avaient pratiquement pas changé depuis l'aube des temps. Même avec un matériel très archaïque, ces parties de pêche devaient être homériques ce qu'il se plait à nous raconter.

Il pêchait avec une canne de noisetier, recouverte de cuir ou de parchemin peint. Comme on le faisait en Angleterre à cette époque. Malgré le poids, c'était des cannes à une main. La ligne était faite de crins de cheval tressés. Une des techniques employée lorsque l'on piquait un gros saumon, et surtout si la morphologie de la rivière s'y prétait, on jettait la canne à l'eau. Le saumon se fatiguait à la tirer derrière lui, et lorsque le pêcheur jugeait qu'il était éreinté, il lui suffisait de récupérer sa canne comme il pouvait. La ligne pouvait être attachée directement à la canne, ou à une lanière de cuir souple. Cette dernière reliant le bas de ligne à la pointe de la canne, c'était en fait l'ancêtre d'une soie et d'une queue de rat dégressive. Il fallait alors pêcher avec le vent dans le dos pour aider le posé. Mais, Richard Franck décrit aussi une autre technique. La canne possédait alors un seul anneau de pointe ou circulait librement la lanière de cuir, le pêcheur gardant en main un réserve qu'il lâchait ou récupérait au moment du lancer, ou qu'il utilisait au moment du combat avec le poisson. Il décrit aussi l'ancêtre de nos moulinets, s'apparentant plus à la pêche au cadre, mais qui pouvait être fixer à n'importe quel point de la canne.


Croquis du moulinet par Richard Franck (Michigan University)

Manier un tel matériel seulement quelques heures devait être absolument épuisant, Richard Franck raconte des journées entières de pêche, ce devait être un véritable athlète.

Colonel Robert Venables (1612/1613-1687)

T H E
Experienced Angler:
O R

ANGLING
IMPROVED.

B E I N G

A general Discourse of Angling;

Imparting many of the aptest wayes
and choicest Experiments for the
taking of most sorts of Fish in
Pond or River.

______________

L O N D O N:

Printed for Richard Marriot, and are to be sold
at his Shop in St. Dunstan's Church-yard,
Fleet-street. 1662.



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Jusqu'a son mariage et la naissance de ses huit enfants, il n'existe aucun document sur Robert Venables. Il est parlementaire du gouvernement Anglais quand celui-ci se soulèvera contre son roi pour sauver les institutions anglaises. Il fera parti de la première vague des emprisonnés. Ce qui déclenchera les hostilités. Jouissant d'un grand prestige il sera promu au rang de colonel et sera envoyé en Irlande par Cromwell pour "pacifier" cette île qui avait profité, une fois encore de la guerre civile, pour se révolter contre la Grande-Bretagne. Il termine la guerre au rang de général et il est envoyé aux Indes. Mission: mettre en pratique un plan d'attaque des troupes espagnoles et de colonisation ensuite, préparé pas Cromwell lui-même. C'est un premier échec. Il attaque alors Hispaniola (avril 55), nouvel échec. Il jette alors son dévolu sur la Jamaïque, autre échec cuisant. Malade, il rentre en Angleterre, mais Cromwell est bien décidé de lui faire payer ces échecs successifs. Le parlement l'accuse de désertion et le fait emprisonné dans la fameuse Tour de Londres. Libéré quelques semaines plus tard, il est dégradé (de général à colonel). Écœuré, il mets fin à sa carrière militaire et politique. Il se retire définitivement à Cheshire ou il ne se consacrera plus qu'a la pêche. Son expérience, ses déductions et ses pensées halieutiques seront résumées dans un petit livre au très long titre: " The experience'd angler:or angling improv'd. Being a general discourse of angling:imparty many of the aptest wayes and choicest experiments for the taking of most sorts of fish in pond or river" .

1662 The experience'd angler: or angling improv'd

Comme chez Berners, Walton et Basurto, qu'il aura sans doute lu, Robert Venables note que le pêcheur est d'un naturel plus calme que les chasseurs ou les fauconniers. Mais le corps du livre est destiné surtout à l'apprentissage de la pêche. Nous ne sommes pas là pour philosopher .
Comment fabriquer son matériel, ligne, hameçons et canne. Liste des mouches artificielles et leur description. Appâts divers et leur préparation et listes des poissons auquel ils sont destinés.
Il conseille d'imiter les couleurs de l'insecte naturel et précise qu'il faut respecter les proportions de l'insecte. Avec les hameçons grossiers façonnés sur des aiguilles de cordonniers ce ne devait pas être chose facile.

 

Frise du livre de Venable avec un dessin de moulinet, le premier aussi net. (Michigan University)


Il nous fait part du résultat de ses heures d'observation au bord des rivières pour nous étudier la vie et mœurs des différents poissons (ou insectes) qui les habitent: saumon, truite, perche, gardon, brème, carpes, anguilles .etc..
Il est le premier à traiter de techniques de pêche en lac.

Au détour d'une phrase, sans doute influencé par ses prédécesseurs il y va de sa petite phrase moralisatrice, " il faut savoir être charitable avec les malades et les indigents" mais c'est sans grande conviction. Il faut dire que toute sa vie il aura été très négligeant avec ses propres enfant qui avaient perdu leur mère en bas-âge. Il est étrange de ressentir à travers ces pages la désillusion et le mal être dans lequel se débat son auteur.
Son livre connaîtra six rééditions de son vivant, toutes remaniées légèrement.
Izaac Walton connaît l'œuvre de Robert Venables et la citera plusieurs fois, mais il ne se rencontreront jamais, peut être à cause de leur position diamétralement opposée pendant la guerre civile.
Ironie du sort et surtout de la mauvaise volonté des autochtones à se laisser envahir, ce militaire engagé dans des guerres coloniales au bout du monde aura laissé son nom dans l'Histoire uniquement pour ses écrits et la grâce de sa passion pour la pêche.

1681 : Chetham "Angler vade-mecum", première apparition d'une imitation de March Brown, appelée Moorish Brown, montée avec un corps en laine d'oreille de mouton soie rouge et une aile en perdrix. Une vingtaine de montage qui perdure encore aujourd'hui.

1724: Jaumes Saunders "The compleat fisherman".
Il explique avec envie que des Suisses et des Nords-Italiens pêchent avec un fil très fort et très fin ayant la consistance d'un cheveux. Il serait constituait du fil de vers à soie (tripe) et serait si fort qu'aucun fil dans la nature ne pourait l'égaler en de si petit diamètre. Il a bien raison de préciser "dans la nature" - encore que des araignées tissent une soie bien plus résistante - car l'arrivée du nylon et ses incroyables propriétés fera tomber le "gut" dans l'oublie.

1747:: Bowlker " Art of angling". Une trentaine d'artificielles, sa March Brown est telle qu'elle est montée aujourd'hui, oreille de lièvre et annelure en soie jaune, hackle de perdrix et aile en poule faisane.

 

"Art of angling" de Bowlker



1753 Les ruses innocentes
dans lesquelles se voit comment on prend les oiseaux passagers, et les non passagers, et de plusieurs sortes de bestes à quatre pieds, avec les plus beaux secrets de la pesche dans les rivières et dans les estangs et la manière de faire tous les rets et filets ....
signé François Fortin ed: 1660, 1628, 1695, 1700.


Tout d'abord publié à Amsterdam sous le titre de "Traitté de toute sorte de chasse et pêche". C'est un livre extrèmement important pour tous les historiens et chercheurs travaillant sur la France de cette époque. C'est un recueil de conseils d'agriculture et de vie champêtre, il inclu le livre "Les ruses innocentes" de (1660). Mais cette première édition ne comporte encore aucune trace de pêche à la mouche. C'est ouvrage est recopié et publié à nouveau en 1709, puis réédité encore sous le titre: " Les Amusements de la campagne" en 1753 et 1826 signé: F.F.F.R.D.G., dit le solitaire inventif.[/center](frère François Paulin Desormeaux).

 

FFFRDG [Pseud. för Francois Fortin]:Les ruses innocentes


C'est cette dernière édition revue, corrigée et amplifiée qui comporte alors un paragraphe sur la mouche:
" Il y a des mouches vives, dont on se sert aussi pour cela (capturer les poissons).
D'autres forment au mois d'Avril une certaine espèce de mouche artificielle, dont le corps est comme garni de soie rouge, qui a la tête verte, et y mettent les plumes d'une poule rousse. Dans le mois de Mai ils en font une couverte aussi de soie, mais elle est de couleur rouge, et avec des filets (tinsel) tirant sur l'or, la tête est noire, et on y joint les plumes rouges d'un chapon. La mouche qu'ils inventent au mois de juin, a le corps couvert d'une soie bleue et d'un jaune doré, la tête pâle, et les ailes faites de plumes qu'on trouve sous les ailes des perdrix. Au mois de juillet le corps de cette mouche artificielle est de soie verte et titrant sur l'or, la tête doit être bleue, et les ailes faites de plumes de couleur pâle. cette mouche en août est composé des plus longues plumes de paon, la tête en est jaune, et les ailes faites avec les plumes qu'on trouve au milieu des ailes d'un faisans. On prétends, et gens qui l'ont éprouvé, assurent qu'avec ces sortes d'appâts on pêchoit heureusement les truites à l'hameçon, et que ces poissons attirés par ces différentes couleurs, selon les différents temps, donnoient facilement à l'amorce. La truite mérite qu'on éprouve ces secrets, dit l'auteur des "[i]Amusements de la pêche et de la chasse, tome 2, page 239."
[/i]
Beaucoup d'écrivains-pêcheurs français ont voulu voir dans ce livre le premier livre de pêche à la mouche authentiquement français. Malheureusement c'est en fait la copie conforme et dûment plagiée du livre écrit en 1621 par l'italien Eugenio Raimondi Bresciano que nous citons plus haut. Les mouches sont exactement les mêmes décrites dans le livre italien. Tout comme la recette pour obtenir de beaux vers jaunes en enterrant une poule avec trois jaunes d'œufs dans le ventre. Copier sans citer ses sources était pratique courante à cette époque.

1760 Le roi George V (Grande -Bretagne) était pêcheur à la mouche, il achetait son matériel chez Ustonson à Londres. Une publicité incomparable pour le détaillant mais aussi pour notre sport. Sur que l'on ne devait plus compter les courtisants qui s'adonèrent à la mouche pour intesser leur Roi et au nombre de bourgeois qui voulurent imiter la cour.

 



 

Le grand pèlerinage des moucheurs

Emilio Fernandez Roman est l'auteur d'un livre extrêmement intéressant sur l'origine de la pêche à la mouche et le pèlerinage à Santiago de Compostelle. Et bien évidemment l'importance que joua cette immense manifestation de ferveur chrétienne sur l'expansion et la popularité de notre sport




Le pèlerinage commença au IXème siècle, lorsque l'église déclara qu'il avait été découvert au Finistère (Galicia), la tombe de l'apôtre Jacques compagnon de Jésus Christ. Très certainement sur les lieux d'un ancien culte païen. Presque aussitôt les pèlerins affluèrent de toute la chrétienté. La fréquentation maximale fut atteinte au XVème siècle. Il faut imaginer ce qu'était ce pèlerinage, des centaines de milliers de personnes qui, de mars à septembre défilaient sans discontinuer. Des baraques de marchands ambulants ou sédentaires, de plus en plus nombreux alors que l'on s'approche des lieux saints. Ils proposaient de tout aux croyants, coquilles de Saint Jacques, statuettes, cierges, nourriture. Ce fut, pendant des années, le plus grand lieu de rencontre humaine d'Europe. Les historiens calculent qu'environ entre 200 000 et 500 000 pèlerins par an partaient à pied, à cheval en bateau, pour se recueillir sur ces reliques. Et Emiliano Fernàndez de s'interroger: Combien, parmi eux, pouvaient être pêcheurs? et de répondre, entre 800 et 2000.
Le problème majeur pour le pèlerin peu fortuné, c'est à dire l'immense majorité, c'était de s'alimenter en chemin. Les trois chemins principaux traversent ou longent, en Espagne, les meilleures rivières à truites d'Europe, toutes comparables aux légendaires chalk stream anglais. Ce sont encore aujourd'hui des "cotos" de pêche très courus que seul les plus fortunés peuvent pratiquer. Mais Emiliano est aussi Espagnol, et il veut absolument que les pèlerins anglais aient découvert la mouche en touchant le sol de la péninsule ibérique. Agustin Jausas, lui est très anglophile et grand bibliophile halieutique. Lors de son discours devant la docte assemblée du club des bibliophiles de Catalogne. Il présenta un travail remarquable sur la bibliophilie de pêche à la mouche. Dans son exposé il pencha plutôt pour le contraire, et selon lui ce seraient les pèlerins anglais qui auraient apporté leur technique pour pouvoir se nourrir sur place et les autochtones s'en seraient inspirés.
Rappelons encore une fois que les pèlerins pendant le carême ne pouvaient s'alimenter en viande ce qui faisait du poisson un aliment indispensable.



Les fleuves et rivières étaient lieux de communication, et de vie … et quelquefois de mort, car les villes et villages jetaient directement tous leurs déchets et eaux usées dans les rivières.
Au XIIème siècle, un moine français, originaire du Poitou, Aymeric Picaud entreprit le pèlerinage, il en devint son premier véritable chroniqueur. Il rédigea un guide à l'usage des pèlerins, le Codex calixtinus" qui est devenu une véritable mine de renseignements pour les géographes et les historiens. Il jouit d'un grand prestige en Espagne mais il est beaucoup moins connu en France.

 

 

Le codex Calixtinus de frère Aymeric Picaud



Il dresse une liste extrêmement précise des cours d'eau croisés ou longés par les chemins de Compostelle, et donne pour chacun la qualité de leurs eaux. Potables ou non potables bien sur, mais aussi, si l'on peut consommer leur poisson. Ce qui tends à prouver l'importance de cette alimentation pour les pèlerins. A vrai dire le moine Aymeric Picard déconseille tant de rivières que les pèlerins, s'ils avaient suivi ses conseils, n'auraient pas bu ni manger grand chose pendant leur voyage.

Il est peut être une explication logique à la longue litanie d'eaux impures que frère Aymeric a rencontré sur son chemin:
Il explique qu'a Lorca, près du gué du Salado, les Navarrais empêchaient par tous les moyens que les pélerins ne boivent et fasse boire à leurs chevaux les eaux empoisonnées du fleuve. L'explication qu'en donne aujourd'hui quelques lettrés et historiens n'aurait rien à voir avec une attitude aussi bienveillante que désintéressée. Les Lugarenos inventait la dangerosité des eaux très vraisemblablement pour pousser les étrangers à consommer du vin. En cette époque, tout propriétaire d'un cheval en avait très certainement les moyens.
Ce qui n'enlève rien à la valeur du document et à la justesse des description des fleuves et rivières de frère Aymeric Picaud.




Alors pour revenir à notre sujet, qui de la poule ou de l'œuf enseigna le premier la pêche à la mouche à l'autre?
Peu importe, mais la théorie d'Emilio Fernandez Romàn, pratiquement inconnue en Europe, pourrait expliquer le nombres d'écrits consacrés à la mouche publiés au moyen âge et au début de l'époque moderne tant en Espagne comme Angleterre. Mais aucune preuve autre que la déduction et la logique ne permettent d'arriver à cette explication.......

Dans sa fougue à vouloir prouver sa théorie, Emilio Fernandez, relève le nom d'une mouche, dans le manuscrit de dame Julyana Berners et celui d'Izaac Walton: la shell fly, la mouche coquille. Qui pourrait être, selon lui la même que la mouche "concha", coquillage, qui est la couleur d'une plume des coqs de Léon. Malheureusement d'autres traités de pêche médiévaux anglais décrivent cette mouche à utiliser à l'état naturel et comment la récolter en abandonnant des coquillages au soleil. En artificielle elle est imité par un dubbing moir cerclé d'un quill de paon aux reflets verts, aucune de ses couleurs couleur ne rappellent les plumes "conchas". Elle a tout l'air d'être notre mouche bleue (karno busho), mais il est tellement plus élégant de dire "Shell fly".

 

1864 Le Grand voyage des truites

Avant d'aborder la période moderne, je me permettrai de résumer en quelque lignes l'Histoire naturelle puis humaine de nos salmonidés. Immanquablement leur distribution et par la suite leur expansion a influencé l'Histoire de notre pêche à la mouche.

 


Aquarelle de James prosek




Le genre "Salmo" constitue avec salvelinus et ochohynchus la sous-famille des salmonidés. La truite (salmo trutta) et le saumon atlantique (salmo salar) sont les seuls à pouvoir jouir du nom prestigieux de truites et de saumons. Tous les salmonidés d'origine américaine, saumon coho, truite arc-en-ciel, steelhead (salmo gairdneri), cutthroat (salmo clarki) sont du genre Onchorhychus et salvelinus et ne peuvent se prévaloir d'être ni des truites ni des saumons. Même si ces appellations bien pratiques continuent à être usitées partout.



L'Ancêtre de la truite et de tous ses cousins et cousines salmonidés serait issu d'un seul et même poisson apparu sur Terre, ou plutôt dans ses eaux, au miocène, il y a environ entre 13 et 25 millions d'années. Cette famille de poissons n'a existé et ne s'est développée que dans l'hémisphère nord de notre planète. Ils sont devenus presque tous anadromes au début des glaciations. Ils ont bien sur connu une évolution différente suivant les bassins maritimes où ils se nourrissaient et vivaient la majorité du temps pour donner les soixante -dix espèces connues à ce jour.



Le saumon atlantique grand voyageur colonisa les eaux d'Amérique du Nord, côte-est et notre bonne vieille Europe.
La "Fario" qui ne s'éloignait guère des côtes, occupa les îles proches et se cantonna sur les côtes d'Europe et bien sur le bassin méditerranéen, Maghreb compris. Le réchauffement de la Méditerranée l'empêchera très rapidement d'accomplir son voyage maritime.

A cause des bouleversement climatiques et géographiques provoqués à la fin de la dernière période de glaciation, nos Farios maintiendront leur souche anadrome sur l'Atlantique, pendant que leurs sœurs demeurées "coincées" à l'intérieur des terres se sédentariseront (environ -10 000 ans).
Nous retrouvons ce même phénomène chez l'arc en ciel américaine et leur sœurs Steelhead anadromes ou chez les ombles de fontaines de la côte-est de l'Amérique du nord qui ont eux aussi conservé une version migratrice.

 




Les truites migratrices ne représentent pas une sous-espèce, mais un "écotype", c'est à dire qu'elles ont toutes en commun une même habitude migratoire, mais le croisement de deux migratrices ne donnera pas forcément que des jeunes migratrices.
A ce jour, il nous a été impossible de savoir si la Fario de souche méditerranéenne pouvait, en condition, réveiller son ancien réflexe migratoire.
A contrario le saumon atlantique au Canada a développé deux souches sédentaires, le Sebago (salmo salar sebago) que l'on trouve dans les lacs du nord de la Nouvelle-Angleterre et la Ouananiche (salmo salar-ouananiche petit saumon en montagnais) et que l'on peut pêcher dans les tributaires du Saint Laurent. Phénomène curieux, les spécialistes disent que la Ouananiche n'a pas été "coincée" dans les terres mais a interrompu sa migration sans y être "obligée".
D'autres "saumons" Cohos et "truites" américaines ont développé une souche migratrice exclusivement dulcicole dans la zone des grands lacs d'Amérique du nord. Ils s'alimentent dans les lacs et vont se reproduire dans leurs tributaires, sans jamais quitter l'eau douce. Les Américains les appèlent "landlocked salmons", ou saumon "verrouillés".
Les Cohos ou "saumons" pacifiques ont continué leur migration eau douce-océan dans la partie la plus septentrionale de l'Amérique du nord (côte ouest). Le Kokani est la forme dulcicole du saumon rouge (sockeye), légendaire pour ses impressionnantes migrations - côte ouest du Canada - et pour sa livrée nuptiale d'un rouge flamboyant.


Et tout serait resté comme cela dans le meilleur des mondes, si une créature dite plus évoluée n'avait développé un goût prononcé pour la pêche de ces poissons.

Chaque colonie anglaise se devait d'avoir sa rivière à truite et son terrain de criquet.
L'Australie, la Nouvelle-Zélande, l'Afrique du Sud, Le Kilimandjaro, le Pakistan, le Cachemire tout comme l'intérieur des terres américaines du nord possèdent des rivières magnifiques et malheureusement vides de salmonidés.
Tout pêcheur, loin de son Angleterre natale devait rêver d'y pratiquer la pêche de la truite. Ces rivières, trop éloignées des bassins où se développèrent les salmonidés, possédaient leur propre faune et flore et toutes les variétés d'insectes pouvant nourrir truites et smolts. Les diverses familles d'insectes "aquatiques" que l'on retrouve dans ces continents sont en fait très proches de ceux que nous connaissons en Europe, sinon similaires, car ils apparurent à une époque où toutes les terres étaient encore unies. Il est étonnant de voir combien les trichoptères, si particuliers dans leur évolution - ils construisent à l'état larvaire un étui de graviers ou de brindilles pour se protéger - existent dans toutes les eaux présentant la même morphologie et ce dans la plupart des continents, pour isolés qu'ils soient. Parfaitement adaptés à leurs milieux ils n'eurent pratiquement pas à se transformer depuis pour survivre.

Les débuts de la colonisation salmonicole furent difficiles.

Comment transporter des œufs de truites Fario anglaises dans des bateaux à voile et sous des températures le plus souvent caniculaires?
On essaiera tout. Les œufs dans des tonneaux plein d'eau, échec! alors on immerge ces tonneaux dans la mer, échec! Les œufs moisissaient toujours très rapidement. Les tonneaux furent posés sur des blocs de glace. Ces morceaux de gel étaient descendu à dos de mulets des glaciers de haute montagne avant d'être enfermés dans les cales des bateaux. Puis on agita l'eau avec des rames, puis avec des plumes. On essaya les poissons vivants. Échec total! mais l'anglo-saxon est têtu, et surtout il adore la pêche.

 




Enfin il découvrit le transport des œufs "à sec"...en fait maintenus au frais entre des linges humides. Il fallait y penser. La colonisation salmonicole des nouveaux territoires pouvait commencer.
La Tasmanie fut le premier des territoire tenté, en 1852, mais la "greffe" ne pris pas, elle sera réussie en 1864.
L'Australie étant à deux pas ce fut un jeu d'enfant de faire le saut. Les saumons atlantiques suivront dans l'année.

L'Amérique du sud n'était pas une colonie anglaise et l'introduction y sera plus tardive. Phénomène étrange et merveilleux à la fois, nos souches de "fario" sédentaires depuis des millénaires, introduites dans des cours d'eau suds américains pauvres en nourriture, ont réveillé leur vieil instinct anadrome et sont parties se nourrir en mer avant de revenir se reproduire dans les rivières où l'on avait voulu les acclimater.
En Amérique du nord, les arcs en ciel de la côte ouest furent transportées dans tous les cours d'eau du centre du continent jusqu'à la côte-est pendant que l'on faisait de même avec les ombles de fontaines dans le sens inverse, de l'est vers la côte ouest.
Les "Arcs" nord américaines partaient, elles, vers l'Europe et l'océan indien et l'Afrique anglophone bien sur.
Notre bonne vieille fario (de souche allemande), voyagera à son tour vers l'Amérique du nord en 1883.

 



Les Arcs-en-ciel arriveront en Nouvelle Zélande en 1883 et en Australie en 1894. Les ombles de fontaine américains seront introduits en Angleterre en 1869. L'Arc-en-ciel des Bouillouses (Pyrénées Orientales) sera acclimatée à partir de souches venues de la côte ouest du Canada. Ce sera l'unique lieu de France où elle se reproduira naturellement, partout ailleurs son acclimatation sera un échec.
Mais ces populations y sont aujourd'hui en très nettes régressions et pourraient disparaître à très brève échéance.

Malheureusement au même moment, les saumons atlantiques, cohos et steelhead migratrices disparaissaient d'une grande quantité des cours d'eau américains. Les saumons atlantiques ont disparus depuis près de cent au Connecticut. Une étude a calculé que sa reintroduction couterait environ 200 millions de dollars.

La mouche connaîtra alors une évolution différente et bien particulière pendant 100 à 200 ans suivant les continents, les rivières et les poissons convoités.

La France développera de petites mouches, des émergentes et les fameux cul de canard (Suisse) car leurs rivières moins bien entretenues et surtout ouvertes à tous de façon très démocratique depuis la Révolution Française, rendront le poisson plus rare et plus difficile à prendre.
L'Angleterre inventera la sèche en lancer amont et découvrira la pêche à la nymphe dans des rivières chalk stream où la moindre réaction de la truite peut être observé comme dans un aquarium.
L'Espagne popularisera ses mouches au montage à l'espagnole montées avec les plumes des leur fameux coqs de Léon.
L'Amérique du nord fabriquera de grosses mouches pour des truites faciles et encore peu pêchée et inventera des artificielles en toutes sortes de poils creux, chevreuil, daim, cerf, écureuil.
Les pêcheurs d'Australie et de Nouvelle Zélande pratiqueront avec succès la pêche aux streamers pour capturer d'énormes truites sauvages.

Avec l'avènement des "routes" de communications toujours plus performantes, ses différentes techniques seront bientôt connues de tous et mises en pratiques par tous les pêcheurs du monde entier.


Bibliographie:


Trout an illustrated history by James Prosek Ed: Alfred A. Knopf publisher, New York.
Le bel inventaire des truites James Prosek Edition Aubanel
(Prix du Moulinet d'or Pêche mouche 2004).
Les Poissons d'eau douce du Québec Louis Bernatchez et Marie Giroux
Edition: Broquet.
La Truite biologie et écologie. J. L. Baglinière, G. Maisse Ed. INRA.

Pour ceux qui veulent en savoir plus sur le voyage des truites aux Antipodes

L’origine des truites dans l’Hémisphère Sud
L’homme à l’origine de la présence des truites fario et des saumons dans l’Hémisphère Sud se nomme Frank Buckland, un anglais né en 1826 et décédé en 1880.

 


[i]Aquarelle de James Prosek

Ces salmonidés furent importés chronologiquement en Australie, en Tasmanie puis en Nouvelle-Zélande. Je vous propose un récit historique traitant de la fécondation de ces individus jusqu’à leur implantation dans des lacs et rivières situés aux antipodes de la France, tout ceci grâce au courage mais aussi à la passion de quelques pionniers de cette époque.
Buckland, bien qu’étudiant en chirurgie à l’université d’Oxford en Angleterre, changea d’orientation se passionnant pour les sciences naturelles. Il dédia finalement toute son existence à l’élevage des poissons. Devenu leader dans son pays pour acclimater des espèces animales au sein de leurs biotopes respectifs, un richissime Amiral anglais Sir Henry Keppel décida de le contacter, désireux de voir naître des truites sur ses terres.
Ce dernier investit alors plus de 2500 Euros (une véritable fortune à l’époque!) dans un bassin d’architecture Néo Gothique qu’il installa au bord de la rivière Itchen (en Angleterre) dont il dériva le lit dans sa propriété afin de réaliser cette opération avec minutie avec l’aide de l’expert Buckland.
Mille œufs de truites furent ainsi fécondés au milieu desquels Francis Francis, un autre passionné qui réalisa aussi l’expérience avec succès de son côté, en ajouta deux milles supplémentaires.
En Angleterre, l’opinion publique n’arriva pas à assimiler pourquoi ces trois protagonistes déployèrent autant d’efforts alors que le salmonidé noble à cette époque était le saumon.
Le gouverneur de Tasmanie proposa une récompense de 850 Euros pour ceux qui parviendraient à introduire le saumon en Tasmanie!
Ainsi, débutèrent les aventures périlleuses de parvenir à reproduire des œufs de saumons dont la finalité fut de les exporter avec succès jusqu’en Australie.
Le premier voyage, constituée de cinquante mille œufs de saumons échoua après cinquante neuf jours de voyage, date à laquelle ceux-ci moururent.
En 1862, une seconde expédition avorta après soixante quatorze jours.
Malgré ces deux tentatives, tous les hommes impliqués dans cette expérience réalisèrent que seule, la manipulation scientifique utilisant de la glace et des moustiques, retarderait de cent cinquante jours le risque de mortalité des œufs sachant que la durée du voyage par bateau à cette époque était approximativement estimée à une centaine de jours.
C’est ainsi qu’une maison de vingt cinq tonnes de glace fut construite à l’intérieur de laquelle furent placées cent quatre vingt une boîtes où reposèrent des dizaines de milliers d’œufs de saumons.

 



Avant le grand départ, Keppel et Francis Francis ajoutèrent au dernier moment trois mille œufs de truites bien que conscients des conséquences que cela pouvaient impliquer du fait d’un taux de grossissement des alevins de truites plus rapide que celui des saumons et, la crainte que ces derniers se fassent dévorés faisant alors échoué l’opération.
Le 21 Janvier 1864, après un jour de retard (à cause des œufs de truites), la cargaison quitta Londres pour arriver en Australie, plus précisément à Melbourne le vendredi 15 Avril.
William Ramsbottom, originaire de Tasmanie, chargé d’accueillir la marchandise, se réjouissant de la présence d’œufs de truites, rêva déjà de voir cette espèce se développer sur son île. Ainsi, après une journée supplémentaire de transport entre l’Australie et la Tasmanie (soit un voyage de quatre vingt onze jours), les premiers œufs de saumons et de truites atteignirent l’Hémisphère Sud.
A cet instant précis, la grande question brûlant les lèvres de tous ces pionniers : «ces œufs vont-ils éclore»?
La réponse à cette question vit le jour le 4 mai 1864, date à laquelle la première truite fario sortit de son œuf pour devenir la première dans cette partie du globe. Sur la totalité des trois mille œufs, seuls deux cent se transformèrent en alevins relâchés dans la rivière Plenty et douze réussirent à se reproduire.

 

 

Aquarelle de James prosek


L’histoire des saumons dans l’Hémisphère Sud s’avéra encore plus émouvante pour ces scientifiques. Trois années s’étaient écoulées depuis l’arrivage et l’alevinage des saumons sans le moindre signe de vie. Un sentiment de désespoir hantait les esprits après tant d’énergie dépensée pour se retrouver face à un tel échec.
Et soudainement, le 15 Mars 1867, les premiers individus firent leur apparition en milieu naturel, quel bonheur!
La Tasmanie exporta alors de nombreuses truites en Australie puis en Nouvelle-Zélande.
En ce qui concerne la présence des truites fario en Nouvelle-Zélande, voici leur histoire.
Elles furent introduites en premier lieu dans l’Ile du Sud, dans les régions respectives du Canterbury et de l’Otago qui alevinèrent leurs lacs ainsi que leurs rivières.
En 1916, cinquante millions d’alevins furent relâchés dans des ruisseaux. Les districts qui alimentèrent les premiers leurs rivières en truites furent Wellington (capitale de la Nouvelle-Zélande située à l’extrême sud de l’île du Nord), le Canterbury (nord de la côte Est de l’île du Sud), le Westland (la côte Ouest de l’île du Sud), l’Otago (centre de l’île du Sud) et finalement le Southland (Sud de l’île du Sud).
Les truites arc en ciel quant à elles, leur origine proviendrait de la Californie, les sources n’ont pu définir avec précision s’il s’agissait de la rivière Mac Leod ou de la rivière Russe. L’identité biologique ainsi que le comportement de cette espèce se rapproche sensiblement des cut-throat et des steelhead d’Amérique du Nord.
Entre 1860 et 1890, beaucoup de truites arc en ciel furent importées des Etats-Unis et du Canada. Visiblement, celles en provenance de Californie s’adaptèrent le mieux au climat et au biotope de la Nouvelle-Zélande. Selon les néozélandais, les truites arc en ciel se comportent comme des salmo truta lacustres car elles furent déversées à l’origine dans les lacs de l’île du Nord et depuis migrent de lacs en lacs et retournent en rivières pour pondre.
Rapidement, l’île du Sud peupla ses cours d’eau qui pssèdent également de nos jours truites de mer et saumons.

Ainsi s’achève la merveilleuse histoire de ces poissons qui se sont parfaitement adaptés au climat de ces îles de l’Hémisphère Sud ou ils sont encore présents en grande quantité, dans le Sud de l’Australie, en Tasmanie et presque partout en Nouvelle-Zélande.
Seule la région du Northland, le Nord de la Nouvelle-Zélande (du nord d’Auckland au Cape Reinga), n’est pas peuplée de ces spécimens du fait de la température des rivières trop élevée. [/i]

Propos recueillis par Alban BOITON, guide français en Nouvelle-Zélande
E-mail : froggoy@hotmail.com

L'avènement des nouveaux matériaux



1800 ce sont les balbutiements de la révolution industrielle, de nouveaux matériaux arrivent des colonies, des machines accompagnent le travail des Hommes. On explore tout juste les possibilités immenses qu'offre la miniaturisation.

et la canne devint fouet ….
Pendant des milliers d'années, le bois aura servi de canne à pêche, le noisetier, le pin, le frêne. Souvent creusé au fer rouge pour créer les emmanchements. Ils auront servi fidèlement les pêcheurs. Mais le bois est lourd. S'il ne maltraite pas le poignet des plus forts, il finissait toujours par casser au niveau du scion ou aux emmanchements. C'était la hantise de nos ancêtres disciples de Saint Pierre. Pour se prémunir de cette maudite casse, les bois étaient peints, recouverts de tissus ou de parchemins, renforcés avec des cordelettes, de la soie, du cuir. Les emmanchements recevaient des viroles de cuivre, de bronze et même d'argent. Elles mesuraient entre 3,50 mètres (12') et 5 mètres (16') pour les cannes à saumons. Les anneaux apparurent relativement tard, pour la bonne raison que le crin de cheval, en tresse plate, avait une très mauvaise glisse. Le frottement effilochait la tresse ce qui la rendait très rapidement inutilisable. Mais les pêcheurs, et notamment les saumoniers ont rapidement compris l'intérêt de cette réserve de "fil". Ils ont utilisé un temps des lanières de cuir reliées à leur ligne circulant dans un seul anneau en pointe de canne. Jusqu'à ce que des mystérieuses mers de Chine, les grands bateaux apportèrent un matériaux naturel et inespéré, le bambou. Bien supérieur à nos roseaux bien que graminés comme lui, il a la faculté de sortir du sol sous toutes sortes de diamètres. Curiosité de la nature son diamètre au sortir du sol sera son diamètre définitif. Autre oriental mystère, il fleurit de façon tout a fait irrégulière, et reste des années sans le faire, mais tous les bambous de la terre fleurissent tous au même moment. Personne n'a encore découvert le mystérieux signal qui les réveille tous en même temps. Tout d'abord il servira à l'état brut pour remplacer avantageusement les scions (60 cm) de coudrier, de pommier sauvage et même en fanon de baleine. Il existe mille espèces de bambou mais seulement deux (Arundinaria amabilis et Pseudosasa amabilis) sont assez dures et denses pour fabriquer des fouets de qualité. Puis suivant le même chemin maritime que le bambou, la technique du refendu arrivera en Europe. La pêche en sera totalement bouleversée. Les cannes à truites raccourciront mais pas les cannes à saumon. Elles ne cassaient plus, elles étaient belles et vernies. Le pêcheur pouvait s'y attacher, elles devenaient l'objet de toute les attentions, presque le prolongement naturel de notre bras. Un objet de luxe à admirer et à faire admirer. Lorsque le faux lancer fut découvert, la pêche à la mouche prit un tout autre aspect. Fini ces sempiternels conseils de profiter des jours venteux et des eaux grises pour partir à la pêche. La distance allait être multipliée et le moucheur pourrait œuvrer hors de la vue du poisson. Mais pour cela il fallait encore une ligne de qualité avec une bonne glisse.

et la ligne devint soie...
Entre la pêche décrite par Alien et la fin du 18ème siècle, la ligne de crin de cheval tressée était le nec plus ultra de la pêche. Un crin en excellent état pouvait supporter jusqu'à 1,8 kilogramme. Malheureusement les tresses finissaient toujours par s'effilocher avant de casser. Monter un hameçon sur un bas de ligne terminé par deux ou trois crins n'étaient pas chose aisée. La jonction entre l'hameçon et la tresse était un point de friction qui fragilisait la ligne. Et pour couronner le tout, le crin de cheval flotte, et les tresses flottaient encore plus. Le moucheur en était réduit a toujours pêcher juste sous la surface. Avant chaque partie de pêche, il fallait laisser tremper sa ligne afin qu'elle perde un peu de flottaison et surtout qu'elle perde une mémoire exceptionnelle. Qualité particulièrement détestée des pêcheurs, d'hier et d'aujourd'hui. Le premier luxe arriva une nouvelle fois de Chine. Depuis 5000 ans on y élevait un papillon, le "Bombyx morij ", dont la chenille fabrique un cocon formé de deux poches en fils de soie de trente à quarante centimètres chacun, particulièrement résistants, transparents et très faciles à tisser. Les Chinois toujours ingénieux, mais comme aujourd'hui protectionnistes à tout "crin", firent tout leur possible pour empêcher le vers à soie de sortir de leur territoire. Mais soit par mer soit en suivant les fameuses routes de la soie, les premières chenilles firent leur apparition en Europe. Apportées vraisemblablement par les conquérants arabes. C'est l'Espagne qui sera le premier centre de production de soie brute d'Europe. Les chroniqueurs de l'époque décrivent des conditions horribles pour les jeunes femmes et surtout les enfants que travaillaient dans les ateliers de séricicultures. Le fil de soie se tirait avec les dents, malgré sa finesse il coupait les lèvres des fillettes, leur sang se mêlant aux humeurs de la chenille commençant sa transformation. Leurs petites mains étaient brûlées par l'eau bouillante utilisée pour tuer les chenilles dans leur cocon.

Le pêcheur mélangea alors cette soie à ses sempiternels crins de chevaux. Il y gagna en souplesse, en solidité, mais pas en glisse ni en mémoire. Les premières machines à tisser permirent d'obtenir des tresses rondes et un "serré" que l'Homme n'était jamais arrivé à obtenir de ses doigts. Les moucheurs ne pourront utiliser la soie seule que lorsque des machines plus performantes arriveront à obtenir des cordelette au rang très serré (1850). Plus la soie est serrée plus sa masse volumique est dense, moins elle conserve de mémoire, moins elle a tendance à s'effilocher et bien meilleure est sa glisse dans les anneaux.
La soie remplacerait le crin de cheval pour devenir le Gut que connurent encore nos grand-parents.

 

Le gut de nos greniers


Mais il sera détrôné en 1930 par l'arrivée du nylon dûment patenté et commercialisé par Du Pont de Nemours. Un Français établis aux USA à qui nous devons aussi le Téflon et le Kevlar. La soie constituera aussi la cordelette qui entraîne la queue de rat. Elle lui laissera son nom même lorsque celle-ci sera remplacé par des fibres synthétiques.
Pour la première fois il y avait dissociation entre le bas de ligne et la queue de rat.
Encore fallait-il une réserve permettant un lâcher régulier sans emmêlement. La récupération elle n'étant pas le vrai problème.


Et la bobine devint moulinet…
Les réserves de lignes se tenait lovées dans la main, puis enroulées sur une planche, un peu comme dans la pêche au cadre. Les plus ingénieux récupéraient des bobines de soie ou de laine, qu'ils bricolaient et fixaient sur leurs cannes en adaptant une manivelle directement sur le tambour. En 1800 les techniques artisanales et la miniaturisation étaient à ses balbutiement mais on connaissait tous les avantages des rouages et des poulies qui permettaient de démultiplier les mouvements. Les premiers moulinets de cuivre firent leur apparition. Encore une fois se sont les saumoniers qui inoveront et les utiliseront pour travailler leurs poissons. Rapidement suivi par les pêcheurs de truites. Le débat du moment était de savoir s'il fallait diriger le moulinet vers le haut de la canne ou vers le bas. Aux Etats-Unis ou l'on pêchait l'omble des fontaines (brook trout) en noyé, la sèche se développera avec l'introduction de notre bonne vieille Fario. Les premiers moulinets seront usinés. Les premières marques feront leur apparition Pfleuger, Lever Winch, et le fameux Perfect que beaucoup de nostalgiques considèrent comme le meilleur moulinet à ce jour, puis naîtra la firme Orvis et bien d'autres ensuite.
L'Amérique du nord ne dépendrait plus de l'Angleterre pour écrire sa propre histoire de la pêche à la mouche.


Les pêcheurs qui depuis des milliers d'années avaient été obligés de fabriquer eux-même leur matériel, laissèrent ce travail aux machines et aux industriels. Les prix baissèrent d'autant ce qui provoquera l'essor des boutiques spécialisées. Ces centres culturels permirent un échange rapide des informations. Le pêcheur perdit sa liberté de construire son propre matériel, en échange il rentrait lui aussi dans la culture de l'objet et la société de consommation. Ce qu'ils perdaient en initiative, ils le gagnaient en efficacité et en goût pour le beau matériel.
Mais le pêcheur à la mouche continue à monter ses mouches lui-même, certains montent leurs cannes à partir de blanks usinés. Il existe aussi des clubs du refendu dont les membres construisent de véritables petites merveilles à partir du bambou brut. Plus que tout autre sport la pêche à la mouche se pratique encore lorsque la partie de pêche est terminée et que le pêcheur fait naître son matériel de ses propres mains. Comme l'écrivait déjà Charles Cotton " ... le plaisir d'attraper une truite avec votre propre mouche sera toujours supérieur à la capture de vingts sur la mouche d'un autre".
Lorsque notre frère moucheur laisse choir sa mouche sur sa table de travail pour vérifier l'élégance de sa chute future sur les eaux, pendant ce trop court instant, il n'est plus chez lui, mais déjà au bord de l'eau. Il pense truite!

1800: Scotcher "Fly fisher legacy".

1816: George C. Brainbrige signe " The Fly fisher's guide" publié à Liverpool. Il écrit: " la Gray drake ... doit être lancée directement au dessus du poisson et manipulée de façon à ce que les ailes ne touchent jamais l'eau". Une description de la pêche à la mouche sèche amont, soixante dix ans avant la publication de "Floanting fly" d'Halford.

1825: Luis de Pena "El manuscrito de Léon"
C'est en fait la récupération du "Manuscrit d'Astorga" (voir plus haut), adapté et complété. Pendant très longtemps ce sera le seul témoin que l'on connaîtra sur l'œuvre de Juan de Bergara. Au catalogue de Juan Bergara, de la Pena a rajouté 41 mouches artificielles. Certaines, encore connues et utilisées sous le nom de "Montage à l'espagnole". Malheureusement l'original du "Manuscrito de Leon" a été offert au Général franco en même temps que le "Manuscrito de Astorga", et ils ont disparu tout les deux.
Selon le spécialiste Alfonso García Melon les imitations de Juan de Vergara étaient des mouches sèches alors que celles rajoutées par Luis de la Pena son noyées.
Contrairement aux oeuvres anglaises qui sont la pointe de l'iceberg d'un véritable monde de pêcheurs en ébullition. En Espagne la pêche à la mouche sera purement anecdotique pratiquée par une poignée d'adeptes. Il faudra attendre la fin du vingtième siècle pour voir apparaître un véritable mouvement de passionnés de ce sport.

[b]1836: Alfred Ronalds publie " The fly-fisher's entomology".
La découverte de la mouche artificielle et la multiplication des modèles imitant la nature devait provoquer immanquablement la naissance de vocations entomologiques.


"Imitez les mouches sur l'eau conseillaient nos lettrés de la pêche. Encore fallait-il les reconnaître, leur donner un nom, ne serait-ce que pour pouvoir parler avec les autres pêcheurs. Les quelques essais de description de la vie des insectes aquatiques avaient été jusqu'a cette date, plus qu'approximatifs.


C'est sur la rivière Dove (Staffordshire), celle de Charles Cotton que Ronalds découvre la pêche à la mouche. Ce n'est pas la seule coincidence avec Cotton, sur la Blythe river affluent de la Dove il fera construire un tout petit "fishing cottage". Equipé de trois fenêtres donnant sur la rivière et permettant de voir la vie des ondes sans être vue. C'est là qu'il passera ses journées prenant notes et dessinant. Il sera le premier à écrire sur les cônes de vision des poisssons et notamment de la truite. Ses déductions sont justes et pourraient être publiées aujourd'hui sans guère de correction.
Ronalds observe et décrit la vie des insectes et illustre son livre de 19 planches au cuivre, absolument magnifiques. De véritables oeuvres d'art, qui enchantent les bibliophiles et font grimper d'autant leurs prix dans les salles de vente.


Il décrit une cinquantaine de mouches artificielles en précisant le nom de l'insecte imité. Malheureusement il n'aura pas connu l'essort de la mouche sèche.
De 1836 à 1877, huit éditions se sont succédées. L'auteur explique dans la troisième édition qu'il se propose de commercialiser ses propres imitations. Ce qu'il fera lorsque ses parents iront s'installer à Dolgelly (Pays de Galles). A la mort de son épouse il laisse ses Shalk Streams et part avec ses six enfants en Australie. Un des ses écrits rappelle que le voyage s'est bien déroulé puisqu'il n'y eut "que" trois décés à déplorer sur 180 passagers.
La disparition de sa femme et une énorme pollution industrielle en Angleterre l'auront très certainement poussé vers des territoires ou la nature était encore sauvage.


La sixième édition de 1862 est enrichie de plusieurs nouvelles planches. En Australie sa fille deviendra une fabricante de mouche renommée.



1845: John Brown "American Fishing writter".

1851: Pulman "Vade mecum of fly fishing for trout". Premiers balbutiement de la pêche en surface avec une mouche sèche. Il est le premier a décrire les règles de l'art. A remarquer, une tentative de réunir de façon exhaustive toutes les imitations de mouches artificielles connues à ce jour en Grande-Bretagne.

1857: Stewart dans son "Practical Angler" conseille aussi le "Fish upstream", pêcher amont, a contrario de la noyée qui se pratique 3/4 aval. Il décrivit comment pêcher en mouche flottante (sèche). Ce sont vraiment les début de la pêche à la mouche sèche, et ils ont lieux en Ecosse. Il fut l'un des tout premier professionel de la pêche de loisir. Il pêchait surtout avec des palmers, Red Palmer et qill Palmer. Il fit école car son livre très facile à lire explique méthodiquement ses techniques. C'était un excellent pêcheur à la mouche. Il écrira:
" La mouche qui flotte et attrape (kills) du poisson et c'est parce qu'elle flotte".

 

 

Steward W. C. le véritable pionnier de la sèche




Ce jeune Ecossais expliqua qu'il fallait pêcher amont, avec une canne légère et rigide d'environ dix pieds. Il avait déjà tout compris, décrivant avec 150 ans d'avance ce que serait la "Mouche" de nos jours.

1864: Thad Norris (U.S.A) publie "The american angler's book. L'Amérique du Nord est encore colonie anglaise.

1867: Francis Francis "A book of angling"

1879: Ogden "Fly tying".

1880:: William Senior " Travel and trout in the Antipode" ou il raconte ses expériences et ses aventures de pêche en Australie. En 1890 il publiera: "Near and far sport and colonial". Il est diplomate et est envoyé en Australie pour installer l'Assemblée legislative du gouvernement Hansard. Il en profite pour découvrir les rivières australienne le fouet à la main. La truite vient tout juste d'y être introduite.

1885: H. P. Wells "Fly-rod and fly tackle"


La période victorienne cède la place à l'Empire britannique. La pêche à la mouche se pratique peu ... mais partout dans les colonies anglaises. Cependant la nouvelle révolution qui se prépare dans le petit monde de la pêche à la mouche naîtra encore une fois sur les berges des Chalk Streams du sud de l'Angleterre. Les pêcheurs à la mouche anglais ne sont alors que quelques milliers. Tous de familles riches et souvent de nobles lignées. Ils pêchent en costume de tweed trois pièces, chaussent de belles bottes de cuir, ne rentrent jamais dans l'eau. Souvent ils vivent à l'hôtel le temps de leurs parties de pêche. Tant que leur canne ne leur a pas provoqué de tendinite, ce qui était très fréquent avec le matériel utilisé alors, notamment quand ils suivent à la lettre les conseils d'Halford qui préconise trente faux lancers pour sécher sa mouche. Certaines cannes possèdent une pointe biseautée qui se visse sur le talon afin d'être plantée dans le pré le temps de se reposer ou de bourrer une pipe.
Quelques découvertes vont transformer notre pêche, l'hameçon à oeillet, la soie naturelle graissée, le bambou refendu et bien entendu le lancer arrière, tel que nous le pratiquons encore aujourd'hui. Il permet enfin au pêcheur de demeurer hors du cône de vision du poisson. Fini les éternelles recommandations de pêcher les jours couverts et venteux (dapping) que nous avons rencontrées dans tous les livres de pêche de Dame Julyana Berners jusqu'a Halford.
Deux personnages vont illustrer cette petite révolution. Qui, comme toute les révolutions, ne se fera pas sans heurt.

1844 - 5 mars 1914 Frederic M. Halford

"Lorsque j'ai fait mes premiers pas dans le petit monde des moucheurs, tournant mes premières plumes et effectuant mes premiers faux lancers sous les conseils de mes pairs, tous, unanimement, m'ont décrit avec le sourire aux lèvres, le combat épique qui affronta un Halford partisan de la mouche exacte à un G. M. Skues pêcheur à la nymphe. La guerre de Troie à côté n'avait été qu'un pique-nique champêtre. J'imaginais un Halford, loupe en main, comptant les cerques et les annelures du céphalothorax d'une mouche avant de reproduire à l'exactitude le même insecte sur son hameçon. En me penchant sur ses écrits, je m'aperçu, bien sur, que c'était ridiculement faux, et seul le désir de pimenter nos soirées d'apprentissage peut encore excuser cette fable. En vérité Halford et Skues défendaient tous deux une imitation de la mouche ou de la nymphe la plus identique à l'insecte naturel. L'origine de la querelle n'a jamais été mouche exacte contre mouche d'ensemble, mais de pêche en surface ou de pêche en profondeur. "


Joan Miquel



 



Fils d'une famille bourgeoise très aisée qui s'installe à Londres, alors qu'il n'a que sept ans. Il pêche déjà car on peut encore le faire autour de la capitale anglaise. Mais ses débuts à la mouche se feront sur la Wandle river. Une rivière que possède un ami de son père. Il a 24 ans et sa première canne à mouche est une 11 pieds et la soie est tressée mélant soie naturelle et crins de cheval. Mais, très vite, ayant accés aux nouveaux matériaux, il achète une soie 100% naturelle. C'est toujours sur la Wandle qu'il apprendra à pêcher les gobages en sèche. Une pratique connue mais qui en est encore qu'à ses balbutiements.
Membre du Hougton club, il rencontrera Georges Selwyn Marryat.
En 1886, son premier livre voit le jour. Il voulait le signer avec Marryat, mais celui-ci refusera, en disant qu'il préfére " rester sur la ligne de touche (side line)". Aussitôt "Floating flies and how to dress them" connaîtra un énorme succés de librairie. A 45 ans, il renonce à sa vie professionnelle, sa situation familiale lui permet de se dédier totalement à ses deux passions: la pêche et l'écriture.

 

 

Frederic M. Halford



Cinq livres naîtront de ce travail quotidien. Après "Floating flies" déjà cité viendront:
Making a fishery (1895)
Dry fly entomology (1897)
Modern development of the dry fly (1910)
The dry fly man's handbook (1913)
Il y expliquera, pas à pas, ses observations et ses découvertes sur le comportement des poissons. Imaginez, un Sherlock Holmes, un peu pédant mais d'une rectitude absolue. D'un livre à l'autre, il n'hésite pas à présenter ses excuses pour une affirmation trop rapide ou une erreur de jugement précédemment publiées. De ces cinq livres, le dernier seulement sera traduit en français: "The dry fly mans' handbook" ( Précis de la pêche à la mouche sèche) en 1913 par le Fishing Club de France, réédité en 1924 (Doin) et en 1982 par (P.E.L Plaisir de la pêche). Autant dire que parmi les pêcheurs qui ridiculisent à souhait notre Halford, pratiquement aucun, ne l'a jamais lu.
Halford n'était pas un fanatique de la sèche ni un défenseur pathologique de la mouche exacte. Dans aucun de ses livres, il ne traite jamais par le mépris aucune des autres pêches. Bien au contraire.
Dans son troisième livre "Dry fly entomology" (1897), il décrit une centaine de modèles de mouches et la plupart sont des mouches d'ensemble. Pratiquement les mêmes que nous utilisons encore aujourd'hui.

 


Photo: http://www.billingsgazette.com/newdex.php?display=rednews/2004/03/14/build/wyoming/30-flyfish.inc#

Dans: "Modern development of the dry fly" il se fait encore défenseur des mouches d'ensembles qu'il appelle " fantaisies" que chaque "pêcheur possède dans ses boites, et auxquelles il croit, "car à la pêche comme ailleurs, rien ne peut remplacer la foi"".
Le gros défaut d'Halfort c'est sa rigidité dogmatique, et ce que les Anglais appellent garder "la lèvre supérieure rigide en toutes circonstances". Imiter la mouche sur l'eau lui valut une réputation juste mais trop souvent exagérée de défenseur de la mouche exacte. En revanche il "péche" de trop vouloir enfermer le fouet dans un carcan idéologique.
C'était un révolutionnaire, bien que cette parole lui aurait fortement déplue, mais comme la plupart des révolutionnaires, il voulait que la révolution s'arrête juste à l'instant ou lui-même l'avait décidé. Il respectait toute les formes de pêche, mais en matière de mouche artificielle, seule la sèche n'avait grace à ses yeux. Il réussira quand même à totalement bannir la pêche à la mouche noyée des chalk streams anglais. Il y est totalement interdit de pêcher en aval encore aujourd'hui.

 


Typique paysage de Chalk Stream anglais (James Prosek "On the footpath of Walton".

Comme le remarque Raymond Rocher dans son livre " La Pêche à la mouche moderne ", Halford ne croit pas que la truite distingue les couleurs, il demeure extrêmement prudent sur le sujet, et conseille d'imiter la mouche sur l'eau.
Ce qui l'opposa à Skues, ce fut l'utilisation de la nymphe dans les Chalk Stream anglais. Ces cours d'eau sont de véritables aquariums où la nymphe à vue peut être extrêmement facile et trop prenante. Preuve en est, qu'aujourd'hui encore elle demeure interdite sur la plupart des parcours. Au mieux, elle n'y est autorisée que quelques mois dans l'année.
Halford respectait toute les pêches, en témoigne son éloge des pêcheurs à la noyée et de leur sens de l'eau. Il décrit avec respect l'adresse des pêcheurs au coup de la Tamise. Il se permet même de fustiger "la prétention exagérée des pêcheurs en mouche sèche ... je serai le dernier à écrire une seule ligne susceptible d'encourager cette prétention erronée de supériorité du pêcheur à la mouche ". (Relevé par Raymond Rocher).
Nous sommes loin du doux dingue décrit par les moucheurs français.
En revanche, Halford n'a pratiquement rien inventé et a couché sur le papier des techniques déjà existantes et d'usage courant à son époque. Ce sont ses observations et déductions à partir de ces techniques connues qu'il nous décrit minutieusement. G. M. Skues, lui, a vraiment inventé une nouvelle technique inconnue jusqu'alors: La pêche à la nymphe en lancer amont.
Si cette pêche a encore beaucoup de détracteurs en Grande-Bretagne, en France elle est considérée comme le nec plus ultra de la pêche au fouet. En Angleterre, un très bon pêcheur à la nymphe à vue est un tricheur qui va au plus facile, en France c'est un héros admiré par tous ses confrères! Deux visions diamétralement opposées.
Ce qui explique la caricature systématique que peut encore subir chez nous, un Halford. L'homme qui en son temps, crime de lèse-nymphe, a osé être opposé à sa pratique.


Un shalk stream typique


Peu de temps avant sa disparition, Frederic Halford, mettra en oeuvre les conseils qu'il donne dans "Making a fishery" pour aménager un cours d'eau à truite (fishery). C'est sur un tronçon de la Test entre Stockbridge et Romsey, sa "Home river", que déflecteurs, caches, aménagement de berges transformeront et feront naître l'un des meilleurs parcours de la Test valley.

La réputation sulfureuse de défenseur inconditionnel de la sèche , Halford la doit surtout à son décalogue connu aujourd'hui encore comme la :
New orthodoxy
1°) Localiser le poisson à son gobage
2°) Observer l'insecte que la truite mange
3°) Choisir l'artificielle la plus proche de cet insecte.
4°) la lancer sur le poisson gobeur
"Le succès n'étant pas dans le nombre de poissons capturés, mais dans la manière de les prendre.

Vouloir réduire Halford à sa rigidité de pêcheur exclusif ou à sa ténacité à vouloir imiter les couleurs des subimagos serait par trop injuste. Halford malgré ses rigidités et peut être grâce à elles, a donné un code éthique de la mouche, sinon appliqué au moins connu par tous les moucheurs de la planète Terre (et surtout eau).
Si, aujourd'hui, une revue de pêche à la mouche japonaise, irlandaise, australienne, française ou italienne défend une même éthique de la pêche à la mouche et une certaine philosophie pour un sport qui veut être art et manière de vivre, si vous même vous rencontrez toujours, de l'autre côté de la planète, un pêcheur qui partage notre civisme piscicole. C'est à Frederic Maurice Halford que nous le devons.

1840-41 - 1896 George Selwyn Marryat

"Had the been no Marryat, there would have been no Halford"
S'il n'y avait pas eu Marryat il n'y aurait pas eu Halford


Il est tout a fait impossible d'écrire sur Walton sans parler de l'amitié qui le lia à Charles Cotton, de Montaigne sans parler de La Boetie, et d'Halford sans parler de Marryat.


avec l'aimable autorisation de: http://www.flyfishinghistory.com/marryat.htm
George Selwyn Marryat :Veste "knicker-bocker" poivre et sel et béret "Tam o' Shanter".

La rencontre entre les deux personnages, telle que la raconte Halford, a eu lieu exactement le 28 avril 1879 dans la boutique de John Hammond à Winchester. Une boutique de matériel de pêche, il ne pouvait en être autrement. Frederic Halford à 35 ans, à peu près le même âge que Marryat. Cette première rencontre pour Halford fut une révélation, tant et si bien qu'il lui fut très difficile de se résigner à rentre chez lui.

En fait, comme Cotton est le vrai grand pêcheur de l'époque Walton, Marryat sera le très grand de la période Halford. Le monteur de mouche, l'innovateur, l'observateur accompli de la vie des rivières. Mais il restera toujours dans l'ombre, refusant même de signer le premier livre d'Halford comme celui-ci le lui propose.
Il est de Winchester, ville enchâssée dans le dédale des chalk streams. Après une courte vie militaire, qui l'envoie en Inde servir comme Lieutenant du 6ème dragon, il profite de l'aubaine pour voyager jusqu'en Australie. Il revient chez lui en 1870, rapportant dans ses bagages une peau d'opossum qui lui permettra de monter la Pale Watery Dun, connue aujourd'hui comme "The little Marryat". Très rapidement il acquiert une réputation de meilleur pêcheur à la mouche de la région et de très grand monteur d'artificielles. Dans une lettre à Henry S. Hall, en novembre 82 il décrit sa nouvelle mouche, les ailes sont faites à partir de deux portions de plumes d'ailes de canne, à partir d'une plume de l'aile droite et de l'aile gauche de l'oiseau. Il monte aussi des ailes à partir de touffes de soie qu'il sépare en deux avec le fil de montage. Avec Henry Sinclair hall, ils fabriquent le premier hameçon a oeillet, car les soies montées directement sur l'hameçon s'usaient très vite pendant les faux lancer. Fini les lignes montées avec la mouche que l'on doit transporter dans un porte-feuille, les mouches pourront enfin être classées en rang d'oignons dans des boites comme celles qui remplissent nos gilets. Marryat disait de l'hameçon: pour être bon, il faut qu'il soit assez fin pour être invisible et assez fort pour capturer un taureau dans un pré de dix acres". Il est le premier, bien avant Skues à imiter la nymphe de la mouche de mai. Son ami Halford, plus théorique que physique, n'était pas un très grand pêcheur, en témoignent ses livres de prises si on les compare à ceux de Marryat. C'est la complémentarité des deux qui est à la base de l'œuvre de Frederic M. Halford.
Un Marryat qui aurait pu tomber dans l'oubli par excès de modestie et qui meurt prématurément à l'âge de 56 ans emporté par une épidémie de grippe. Il est enterré dans la cathédrale de Winchester, non loin d'Izaac Walton.

13 aout 1858 - 9 aout 1949 George Edward Mackenzie Skues

Attendez un instant ce truc de la mouche sèche est en train de devenir une vraie religion, rien à voir avec un sport, si j'en attrape, qu'importe que ce soit comme les vieux pêcheurs à la noyée?
G. M. Skues

Skues lui est bretteur de prétoire, un avocat hâbleur et très imbu de sa personne. Il n'hésitera pas à attaquer Halford, directement, même après la mort de celui-ci. Mais personne ne lui enlèvera qu'il fut l'inventeur d'une technique de pêche révolutionnaire: la pêche à la nymphe "émergeante".
Il est né au Canada, mais ses parents reviennent s'installer en Angleterre. La profession du père le pousse à voyager dans les colonies, et le jeune George Edward doit le suivre jusqu'a ce qu'il soit admis à l'école de Winchester. C'est là au coeur des chalk streams qu'il achètera ses premiers hameçons à blanchaille, chez Hammond, la même boutique ou se rencontreront Marryat et Halford. Plus tard, ses premiers achats pour la mouche seront, une 11 pieds, une ligne de soie et de crins de cheval et une Wickam's Fancy. Presque les mêmes achats qu'Halford. En 1887, grâce à une invitation, il pêchera l'Itchen, qui deviendra sa "Home River".


G. M. Skues un innovateur



Il pêche à la mouche depuis 30 ans, en Angleterre, mais aussi en Europe lorsqu'en 1910, il publie ses premiers écrits "Minor tacties of the chalk streams". Il y a trois ans que Halford a publié son dernier livre. Il commence à décrire les nouvelles possibilités de la pêche à la nymphe. Il cherche déjà la bagarre et dédit son livre à " Mon ami le puriste de la mouche sèche et à mes ennemis, si j'en ai". Qu'il se rassure, il en aura. Le titre même est une provocation " Minor tacties" contre les "Majors tacties" des élitistes de la pêche en sèche.
L'homme éprouve un véritable désir d'en découdre qui le pousse à écrire de la façon la plus agressive qui soit.
De Walton, qui était véritablement une personne délicieuse, ce qui se reflète dans tous ses écrits, il n'hésite pas à écrire: " Un misérable vieux "plagieur" qui a écrit la première partie de son livre en copiant dame Julyana et la seconde est de Charles Cotton". C'est un taureau mal embouché, et Haldford qui l'a parrainé pour entrer au Fly Fishers' Club - on n'y entrait pas sans le parrainage d'un membre prestigieux - sera le centre de toutes ces attaques. Halford est un gentleman, au début il jouera avec lui comme un torero qui esquive les charges d'un taureau. Préférant aux disputes sur la voie publique les échanges de lettres ... parfois venimeuses.
Dans ce premier livre Skues nous décrit sept mouches à ailes, ce sont encore des mouches noyées mais qu'il appelle nymphe: de la Greewell's Glory à la Black Gnat. Il y écrit aussi qu'au mois de juillet 1908: " J'ai pris sur l'Itchen un poisson et en examinant sa bouche, je trouvais une Dark Olive Nymph. J'avais mon matériel de montage avec moi, et pris de la fourrure de phoque et l'ai mélangé à des poils d'ours marrons foncés et laineux, afin de reproduire exactement les couleurs de l'insecte naturel. Aussitôt j'attrapais six poissons sous la surface". Il essaie alors en sèche, et rate deux poissons, il reprends sa nymphe et capture à nouveau six poissons en peu de temps . C.Q.F.D.
Avant Skues, une truite qui nymphait était considérée "infaisable". Il sera le premier à comprendre et à expliquer que lors d'une "éclosion", la prise de la nymphe sous l'eau est la première activité, visible ou non, et ce n'est que plus tard qu'aura lieu la prise en surface. Il utilise des plumes de poules pour monter ses mouches.
Ce qui choquera son auditoire viendra surtout de son affirmation qu'un pêcheur à la nymphe se doit de ferrer pratiquement sans voir sa prise, un écart du poisson, un éclair sous l'eau ou le plus souvent d'instinc. Une véritable hérésie au temple de la sèche.



Skues est aussi un excellent écrivain, très facile à lire, ses descriptions sont précises et minutieuses, sans fioritures inutiles. Quand il conte une anecdote, c'est uniquement parce qu'elle vient appuyer ses théories. Un vrai travail d'homme de loi qui doit parer au plus précis. Contrairement aux nombreuses mouches d'Halford qui sont tombées en désuétudes, les nymphes de skues sont utilisées encore aujourd'hui.
Selon Skues, si une truite ne prends pas votre mouche, 20% des causes viennent de la mouche, mais 80 viendront de la présentation. En revanche notre Skues ne s'est intéressé qu'a la nymphe émergeante, c'est à dire dans la partie supérieure de la rivière. Il semble ignorer tout de la vie larvaire et des premiers temps de la métamorphose. Il ne pêche que les poissons intéressés par l'ascension de la nymphe juste avant qu'elles n'atteignent la surface.

 

La nymphe de Skues, imitation de Michel Flénet


En 1921, Skues publie " The way of a trout with a fly". Il raconte parmi toutes ses expériences comment, lors d'un repas il trouva une cuillère à moelle qui lui permit d'aller chercher directement dans l'œsophage et l'estomac des truites les dernières mouches qu'elles avaient avalées. Une grande partie ne sont pas des subimagos mais des nymphes.
Trois autres livres verront le jour:
Nymph fishing for Chalk Stream Trout
The pratical angler
Side-lines, sides-lights and reflexions
Mais son ultime livre édité (1932) ne sera qu'un règlement de compte avec Halford qui est décédé depuis déjà dix-huit ans. Il prendra chaque point défendu par ce dernier dans ses écrits et leur portera contradiction. C'est devenu une véritable obsession. Le Fly Fishers' club tentera de l'expulser et il sera interdit de pêche sur certains parcours de la Test et de l'Itchen. Pas seulement à cause de sa nymphe mais surtout pour son manque d'éducation et sa goujaterie envers halford. Si Halford pêchait par son rigorisme, Skues, lui, se prenait vraiment trop au sérieux. Mais il ne sera pas expulsé du club ou Halford le fit admettre, par égard à son grand âge. Il venait d'avoir 80 ans. Une délicatesse dont il n'a pas su faire preuve envers Halford.

Une dernière pensée du maître: " Le jour ou la truite ne confondra plus la mouche artificielle avec l'insecte qu'elle est en train de manger, la pêche à la mouche aura perdu tout intérêt".
Les leurres comme le streamer ou les perles dorées agissant sur le comportement agressif du poisson restaient encore à découvrir.


"En Mémoire de G.E.M Skues qui pêcha ses eaux de 1983 à 1938. Un homme qui partagea son chemin avec une truite". (Allusion à son livre "The Way of the trout).
(Photo prêtée gracieusement par http://www.danica.com) .

1890: Théodore Gordon "Quill Gordon".


                                                                                                

1913 : Muriel Constance Foster (1884 - 1952).


En 1913, elle commence son journal de prises comme tout bon pêcheur minutieux et constant, il durera 37 ans et traversera deux guerres mondiales.

 

Collection Agustí Jausas Barcelona.



C'est Agustí Jausas bibliophile à Barcelona qui le présenta lors d'une conférence devant l'Association des Bibliophiles de Catalogne.
Ce journal est une petite merveille. Non seulement Dame Foster note le temps, la mouche du moment, ses imitations de types Elisabetains, la rivière péchée, mais elle décore patiemment les pages de son journal de merveilleux petits dessins à la plume. Animaux rencontrés, mouches utilisées, plantes et fleurs, et bien sur ses plus belles prises. Vous y trouverez dessinée "la plus belle truite de sa vie" pourtant après un combat mémorable, elle cassa le fil et s'enfuit dans les ondes. Mais l'imagination et l'art permettent parfois de réaliser ce que le sort et l'adresse de notre adversaire n'auraient pas permis autrement.


Elle décrit aussi ses parties de pêche en dapping avec une mouche de Mai vivante, sur les loch Irlandais. Car elle pratiquait toutes les formes de pêches sportives avec le même enthousiasme. Ses dessins de poissons de mer ou de bateaux de pêche sont tout aussi merveilleux. A travers ces petites oeuvres d'art en couleur c'est toute la philosophie de la pêche à la mouche qui s'exprime. Jusqu'a ce que le journal s'achève sur un coup de couperet : " Fini Artritis". Maladie terriblement handicapante, terreur des moucheurs. Lorsque nous avons ressenti cet amour qu'elle avait pour les rivières et leur vie intime, il est difficile de ne pas avoir le cœur serré par ces deux dernières paroles.

 

Franck Sawyer

La pêche à la mouche est pratiquées des Antipodes aux Etats-Unis d'Amérique. Des chercheurs et des usines perfectionnent un matériel de pêche qui se vends de plus en plus. Nous pourrions imaginer sans peur de se tromper que la prochaine évolution ou révolution peut surgir de n'importe quel coin du globe.
Pourtant, c'est encore de la vieille Angleterre et de sa petite région bénie des Dieux, le triangle des Chalk Streams, au sud du pays, que naîtra le père de la "Pheasant tail", Frank Sawyer.
L'autre révolution bien involontaire celle-là et que nous pouvons attribuer aussi à Frank Sawyer, sera d'ordre social. Pour la première fois la mouche quittera le rang des nantis, de la noblesse et des propriétaires terriens pour être pratiquer par un roturier issus des milieux les plus pauvres d'Angleterre. Bien sur, il y avait déjà des pêcheurs à la noyée qui vendaient leur poisson pour améliorer une vie plus que modeste. Mais la "mouche fouettée" telle que nous la pratiquons aujourd'hui, pénètre, encore que très timidement, les couches sociales plus humbles avec Franck Sawyer. La multiplication des moucheurs apparaîtra surtout avec les congés payés.

Comment est acceptée cette intrusion dans un domaine réservé aux grandes fortunes? parfaitement bien, d'une part parce que Franck Sawyer sera à "leur" service en étant garde pêche et leur fera profiter de ses découvertes et de sa technique, ensuite et comme l'a si bien dit l'écrivain américain Thomas McGuane "les riches ne respectent que deux pauvres, le dresseur de chien de chasse et le guide de pêche". Parce qu'ils leurs sont supérieurs dans les hobbies qu'ils chérissent le plus.



Franck Sawyer est né en 1906 au Mill cottage, à bulford, sur les bords de l'Avon, Chalk stream qui agira sur lui comme un véritable aimant. Il dit lui même que le chant de la rivière sera le premier son qu'il entendra en venant au monde. Fils de garde pêche, absent au début de sa vie pour cause de guerre de 14-18, il raconte sa prime enfance et la naissance de sa passion pour les ondes dans une autobiographie, savant mélange entre Marcel Pagnol et la guerre des boutons. Une enfance dans le dénuement le plus complet, que l'absence du père ne pouvait qu'aggraver. Où le vol d'un bout de coton pour servir de ligne était puni avec la plus grande sévérité.

Le petit Franck passera son temps couché dans l'herbe, le nez à ras de l'eau pour observer et capturer, avec toutes sortes de pièges, ses amis les poissons. En gardant toujours un oeil sur son ennemi juré: le garde pêche du parcours des officiers. Parcours qui appartient toujours à l'armée anglaise et géré par l'Association de pêche des officiers pour le plus grand bonheur des militaires pêcheurs. Franck ne sait pas encore que dans quelques années c'est lui qui deviendra garde et devra faire la chasse à des chenapans qui lui ressemblent comme deux gouttes d'eau de l'Avon River.
Ce mêtier lui permettra de consacrer tout son temps à sa passion et à améliorer au maximum le cours d'eau des sociétaires qui lui fournissent gîte et couvert. Ces années d'observations et de braconnage n'auront pas été vaines. Il sera l'inventeur d'un traitement à la craie des cours d'eau à truite afin de faire baisser l'acidité de l'eau, ce qui détruit les algues parasites et favorise la flore et multiplie la micro faune benthique. D'ou une croissance optimum des ombres et des truites. Mais la pêche à la mouche le passionne toujours. Disciple de l'école de Skues, il veut tout comme son maître traquer la truite sous la surface puisque c'est là qu'elles se nourrissent la plupart du temps.




Un petit aparté sera peu être nécessaire à ce moment de ce récit:
Aujourd'hui, même si la télévision est traité d'instrument d'acculturation à cause de divertissement pas toujours du meilleur goût, nous ne nous rendons pas toujours compte de son pouvoir de vulgarisation du savoir. A l'époque de Franck Sawyer, les populations ne connaissaient absolument rien de la vie des insectes et de la plupart des animaux sauvages. Si aujourd'hui tout un chacun a déjà vu des dizaines de fois la métamorphose d'un papillon, au début du vingtième siècle, rare était le paysan qui faisait le lien entre la chenille et l'insecte parfait. Ne parlons pas des insectes subaquatiques. Il est très étonnant en lisant Skues, pape incontournable de la pêche à la nymphe, ignorer tout des différentes métamorphoses, et négliger totalement les insectes vivant au fond des rivières. Lieux réputé impêchable avec les techniques de son temps. Franck Sawyer, lui c'est en culotte courte, à l'école de la nature et au milieu des orties qu'il a appris à observer.

 

La Pheasant Tail



A quatorze ans, le jeune Francki quitte l'école pour devenir apprentis menuisier, mais l'élastique qui le lie à sa Home-river finit par gagner. Il devient d'abord garde-adjoint auprès d'un disciple d'Halford qui n'apprécie que très moyennement son goût pour la pêche à la nymphe. Quand la place de garde se libère au parcours des officiers, c'est tout naturellement qu'il postule et à son plus grand bonheur et pour celui de tous les moucheurs de la terre, il obtiendra le poste. Franck Sawyer n'aura jamais vécu à moins d'une dizaine de kilomètres de sa rivière. Lorsque, pour cause de guerre il sera appellé à servir sous les drapeaux, il souffrira de dépressions à répétition. De retour au pays, il n'en sera plus jamais question. Sa notoriété internationale sera obtenue sans avoir pratiquement quitté son Avon

Deux personnages vont aider au maximum de leurs possibilités Franck Sawyer à devenir le Sawyer que nous connaissons.

Sir Grimwood Mears qui le poussera à écrire. Une vrais torture à ses débuts car quelques années d'études de plus lui auraient grandement facilité la tâche. C'est Mears qui le fera entrer à la BBC.
Franck Sawyer, en autodidacte absolu, s'imposera une discipline de fer. Il publiera trois livres, près de 200 articles et réalisera une cinquantaine d'émissions de radio et une douzaine de reportages télévisés, dont certains en direct. Prendre une truite sous l'oeil de la caméra, en direct, c'est à dire en temps réel, c'est la magie Sawyer.

L'autre personnage sera G.E.M. Skues. Sawyer ne rencontrera le maître de la nymphe alors que ce dernier vient de fêter ses 90 ans. C'est Skues qui se servira de sa notoriété pour convaincre une maison d'édition de publier Sawyer. Les deux savants es-nymphes ne cesseront jamais de correspondre jusqu'a la mort de Skues.

Avec Charles Ritz, le patron des Hôtels Ritz ce sera une autre forme d'amitié, de complicité. Ritz sera au refendu ce que sera Sawyer à la nymphe, un innovateur. L'amitié entre le nabab et le plus que modeste garde-pêche sera sans faille, c'est la magie de la mouche. Etrangement, c'est Ritz qui aura une gouaille de roturier extraverti alors que Franck Sawyer aura toute sa vie la retenue d'un vrai gentleman

Nymphes et techniques de pêche.

Lors de ses longues heures d'observations, Franck Sawyer avait bien remarqué que les truites et ombres capturaient de minuscules proies sur le fond des rivières, entre deux eaux et à ras du gravier des Chalk stream. Skues avait marqué le pas avec ses nymphes de surface ou dans la couche supérieure de la rivière avec ses nymphes non plombées. C'était encore une pêche visuelle.

Lorsque Sawyer monte sa fameuse
"Pheasant tail" il veut qu'elle s'enfonce, pour aller chercher la truite là où elle se trouve et se nourrit la plupart du temps. Il n'utilise pas de fil de montage, mais lie les fibres de queue de faisan avec un fil de cuivre. Sur un hameçon de 14, 15 ou 16, il leste d'abord sa mouche avec plusieurs couches de fil de cuivre et superpose plusieurs couches à la hauteur du thorax pour imiter le sac alaire. Il recouvre le tout en tournant les fibres de faisan et finit de lier le tout avec le même fil de cuivre. Les reflets métalliques rendent les montage encore plus attrayants pour notre carnassière.
Toujours perfectionniste, il avait acheté un microscope d'occasion, grand sacrifice pour son petit budget. Il élevait des mouches dans des aquariums et avait remarqué que lors de leur ascension elles gardaient leurs pattes plaquée le long du corps. Pour cette raison, aucune de ses mouches ne possède de pattes.

La Grey Goose autre création emblématique, se décline en 14, 15 et 16, et ressemblerait en tout point à la "Pheasant Tail" si elle n'était montée avec les fibres d'une plume de l'aile d'une oie grise. Le fil métallique est doré.

La killer-bug. est la troisième, destinée à capturer et détruire les ombres des Chalk streams. Il l'utilisait sur des hameçons 9 et 10, afin de capturer les truites de lac et les truites de mer. Le fil était en cuivre rouge et la laine, un mélange de nylon et de laine cardée beige ou du coton a repriser dont il donne les références "Chadwicks ref. 477" qui est introuvable depuis, et les quelques pêcheurs qui en possèdent encore le conservent comme une relique.

Bien sur il fit et inventa d'autres mouches, mais ces trois là lui permettaient d'attraper tout les poissons qu'il désirait.

En allant traquer des poissons invisibles sur le fond, ces nymphes échappent également au champ de vision du pêcheur et pour cette pêche en aveugle, il fallut qu'il invente une nouvelle technique de pêche.:

La nymphe au fil!

Il explique alors qu'il faut fixer le point du fil qui flotte juste là ou il brise la surface pour s'enfoncer. Au moindre arrêt ou accélération de la descente, il faut ferrer. Mais il obéit très souvent à son sixième sens qui le prévient quand une truite a pris sa nymphe..Il apprend aussi à ses amis à pêcher en

Nymphe à vue, en calculant la vitesse de descente de la nymphe et la vitesse du courant afin d'apporter l'imitation, difficile à voir, devant la bouche d'un poisson qu'il a surpris et voit en train de se nourrir. Exactement comme nous procédons encore aujourd'hui.

 

Les trois modèles en différentes tailles, la plupart des nymphes utilisées aujourd'hui sont dérivées de celles-là.



Sawyer fut donc le précurseur de la NAV (Nymphe à vue) et de la NAF (nymphe au fil), nec-plus-ultra de tout pêcheurs français.

Souvent surnommé "l'ami de tous les animaux", il ne supportait pas qu'un pêcheur laisse agoniser un poisson sans l'achever proprement pour abréger ses souffrances.
Pour éliminer les lapins qui pullulaient il inventa un piège qui capture sans souffrance, car il détestait les pièges à palettes qui brisent les os. Il passa sa vie entière à vouloir faire homologuer son invention et faire interdire l'instrument de torture utilisé par tous. Mais les administrations sont lentes, quand enfin, à la fin de sa vie il vit ses efforts aboutir et obtint gain de cause, la myxomatose fit son apparition et élimina des millions de lapins dans des souffrances pire encore que l'ancien piège à palette.

                                                                                

Pendant plus de cinquante ans, notre garde servira au mieux la rivière, ses habitants et les pêcheurs du Parcours des officiers, avec zèle et abnégation et a titre gracieux !
Lorsqu'il prendra sa retraite, il recevra plusieurs décorations qui le rempliront d'aise.


Le 18 avril 1980, accompagné de son chien Shandy, il se rendit sur son parcours favori à Choulston. On le découvrit allongé dans l'herbe sur le dos, sa canne encore dans la main, comme s'il avait été endormi. Son visage était paisible .il était mort depuis deux heures, il était cinq heures.
Un simple banc de bois sans aucune inscription a été installé là ou il fut découvert afin de permettre à ses amis pêcheurs d'attendre les gobages..

Oliver Kite

Oliver Kite est l'antithèse de Frank Sawyer. Autant Franck possède la maîtrise d'un parfait gentleman anglais, autant Olly est hâbleur, extraverti et aime éblouir son entourage. Sawyer préfère se tenir à l'écart des discussions tapageuses, Kite les domine et les anime à loisir. Portant les deux grands pêcheurs furent amis, à tel enseigne qu'Oliver Kite choisit de s'établir à Netheram, le village de Sawyer, les deux maisons se faisant face. Oliver passa des heures chez Sawyer à discuter de nymphes et de réactions des poissons. Il se fit expliquer en long et en large toutes les expériences de Sawyer, car Kite n'était pas un homme à passer des heures à observer. Puis un jour l'amitié se tarit, et les deux voisins ne s'adressèrent pratiquement plus la parole. Oliver Kite dans les traces de Sawyer écrivit un livre excellent "Pratique de la pêche à la nymphe" traduit en français par Raymond Rocher. Mais nous n'y retrouvons rien de plus que ce qu'avait découvert Sawyer, avant lui, ce que Kite reconnaît sans doute en écrivant "Tout le livre rend hommage à Sawyer". Puis Kite se consacra à la télévision, où il connu un succès certain. Son émission touchait tous les aspects de la vie au grand air, mais réservait une grande place à la pêche et à son incontestable adresse à capturer les poissons. C'était un vrai génie de la télévision, inventif et sachant captiver son public même s'il fallait pour cela faire du "tape à l'œil". Sa réussite, il voulait que tout le monde la voie et pour cela il acheta une jaguar blanche, magnifique. Il était vraiment tout l'opposée de Sawyer qui ne serait jamais tombé dans ces ostentations de nouveau riche. Sawyer aimait la discrétion, même s'il considérait qu'un petit salaire dévalorisait son travail. Mais il considérait que s'enrichir grâce à la pêche était immoral. Les deux anciens amis quittèrent ce monde de la même façon, du bord de leur rivière préférée. Oliver Kite le fit des berges de la Test à Overton (Hampshire) ou il eut sa dernière crise cardiaque. Ils donnèrent tous deux, de façon diamétralement différente et parfois en opposition totale, le maximum de plaisir à leurs amis moucheurs.
Kite avec ses débordements était un homme comme les autres avec ses talents incontestables et ses défauts alors que Franck Sawyer était un homme exceptionnel!

1852: Les premiers écrits français

La pêche à la noyées à trois mouches peut être considérée comme traditionnelle en France, mais au début du vingtième siècle, la pêche à la mouche sèche n'en est encore qu'à ses balbutiements. Si pour la noyée, les techniques s'apprennent de bouche à oreille et au bord de l'eau, l'apprentissage de la mouche sèche s'accompagne de livres, de schémas, de descriptions de mouches et même d'entomologie.

Nous avons trouvé tout au long de nos recherches quantité d'ouvrages halieutiques parus postérieurement et faisant référence à des textes en français beaucoup plus anciens, nous ne les avons pas trouvés, ou peut être n'avons nous pas su les découvrir. Aucune des références données ne correspondent à des manuscrits répertoriés. Aussi, et jusqu'à preuve du contraire, cette date jalonnera les débuts de la pêche à la mouche dans l'histoire de la bibliophilie française.

 

Le "de Massas" (1852)et le "Perruche"(1922) sont les premiers ouvrages français originaux consacrés à la pêche à la mouche, publiés respectivement 356 et 426 ans après l'œuvre de dame Julyana Berners

  De la civilisation du cheval à celle du chemin de fer, nous avons vu disparaître tout un monde, et pourtant la pêche en France n'a pratiquement pas connu d'évolution depuis les descriptions qu'en a faites Izaak Walton.

 

Charles de Massas dans ce tout  premier livre français de 1852 : "Le pêcheur à la mouche artificielle .... dédié à la pêche à la mouche   nous                                                         explique, tout comme l'a fait Walton avant lui, comment fabriquer nous-mêmes presque tout notre matériel. Canne, ligne et même hameçons. Car, ces derniers, en petites tailles, n'existent pas encore dans le commerce. Il faut pallier le manque du marché pour pouvoir s'attaquer aux poissons à petites bouches comme la vandoise, l'ablette ou l'ombre. Et l'auteur de nous apprendre comment les forger à partir d'aiguilles, exactement comme le faisait dans son livre Dame Julyana Berners.      Mais ceci explique peut être cela, Charles de Massas est très près de ses sous. Son livre est une longue litanie sur la cherté du matériel  à mouche.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                          

Il est vrai qu'a la fin du IXXe. siècle, les ouvriers et les petits paysans n'ont absolument pas de temps libre et vivent une vie misérable. Les pêcheurs sont divisés en trois catégories, les ouvriers agricoles et petits paysans qui arrivent de temps en temps à s'échapper de leur travail et pêchent alors pour apporter un complément de nourriture à leur famille, les pêcheurs professionnels qui vendent leurs poissons et les riches oisifs issues de la noblesse ou de la bourgeoisie qui puisent dans l'héritage familial. Beaucoup des grands noms de la pêche sont à particule.                                                                            

Charles de Massas, fait partie de la dernière catégorie,

                                                                      

 

 

 

                                                                            

 

ce qui ne l'empêche pas de nous apprendre comment fabriquer soi-même sa canne à mouche "rubanées". Elle est en bois et enveloppée de toile pour éviter les brisures, tout comme Charles Cotton conseillait de le faire cinq siècles auparavant. Puis il se livre à de savants calculs arithmétiques pour nous convaincre des sommes qu'il arrive à économiser en procédant de cette façon.

Ce qui démoralise notre pêcheur, c'est que les Anglais qui viennent pêcher en France, ont donné aux moucheurs une réputation de nabab. "Si vous rentrez dans une auberge de campagne avec une canne à mouche, explique t'il, pour un  repas à 2,50F on vous en demande 12!".

La canne et la soie.

Le bambou est a peine cité, car, curieusement, seul le scion est en refendu tout le reste de la canne est encore en bambou naturel. Il est lourd et dans les lancers appuyés il finit pas se fendre. Il y a quand même une différence majeure entre Walton et de Massas, désormais le pêcheur fouette avec un long lancé arrière pour étendre sa soie sur l'eau. On a découvert la soie naturelle qui sert de cordon pour entraîner le bas de ligne, mais on y mêle encore le crin de cheval. Selon de Massas les deux matériaux ne répondent pas de la même manière une fois mouillés et la pression se fait surtout sur les brins de soie qui finissent par s'effilocher. Il préfère acheter de la cordelette de soie de grège ( à 3 francs l'écheveau de 70 mètres) qu'il imprègne à cœur de graisse, et nous fait encore part de toutes les belles économies qu'il réalise ainsi.

Les meilleurs hameçons sont irlandais et appelés "Limericks". Il faut les acheter sans palette pour profiter d'une longue hampe où monter sa mouche. Il n'existe qu'un seul fil de pêche, le crin de Florence qui est en soie naturelle.

 Le bas de ligne est en trois brins dégressifs en tresse ronde. Il existe encore les plates que l'auteur déconseille. Tous les nœuds, y compris ceux du bas de ligne doivent impérativement être renforcés par des tours de soie poissée. Ils doivent être constamment vérifiés et renforcés pendant la pêche.

En revanche, Charles de Massas, consacre au moulinet un long article accompagné de croquis. Non pas pour comparer les différents modèles existants, mais tout simplement pour expliquer son utilisation et tous les avantages qu'un pêcheur peut tirer de ce tout nouvel ustensile.

Les mouches .

Lorsqu'il va à la pêche, Charles de Massas ne s'embarrasse pas de nombreux portefeuilles regorgeant de modèles différents d'artificielles. Il n'y croit pas. Pour lui une truite a tellement d'insectes différents qui passent à sa portée que n'importe qu'elle imitation peut arriver à la tromper. Les hameçons n'ont pas encore d'œillets et les mouches sont montées déjà liées au brin de fil qu'il faudra rattacher au bas de ligne. Deux modèles sont décrits :

  • un palmer qu'il appelle chenille, corps de quill de paon et hackle de coq. Il nous confie qu'en Angleterre, on ajoute un léger fil doré (tinsel) du plus bel effet qui "attire les truites comme tout ce qui brille attire les humains".
  •  La seconde est une mouche, car l'auteur fait la différence entre la mouche et la chenille (palmer). Hackle plus fin, prise sous la barbe d'un vieux coq et deux portions de plumes de canard pour former les ailes, corps, à nouveau, en barbe de plume de paon :

                                                                                                              

  " J'établirai bientôt que, pour le but que le pêcheur poursuit, rien ne lui est moins nécessaire que de multiplier à l'infini ses richesses artificielles; qu'il n'a que faire de tirer d'Asie ou d'Amérique des plumes bigarrées à nuances éclatantes, et qu'en un mot, pourvu qu'une fois l'an il se procure pour le corps de ses insectes, une plume de paon ou d'autruche; pour les ailes, la défroque d'une poule ou d'un canard, et, enfin, pour leurs pattes, la cravate d'un vieux coq, il aura tout ce qu'il faudra pour fabriquer des mouches et des chenilles … aussi diverses, aussi bizarres, aussi coquettes, que son caprice aura pu le désirer."

 

Qu'en de termes galants ces choses là sont dites !

 

 

                                                                                      

 

La plupart des récits de pêche de Charles de Massas décrivent des foules médusées de voir pêcher d'une aussi drôle de façon. Le plus souvent, les pêcheurs du cru sont persuadés que les graisses destinées à faire flotter lignes et mouches, sont des recettes secrètes qui rendent fous les poissons. Sinon, pourquoi se jetteraient-ils ainsi sur des pompons en plumes de coq?

Sieur de Massas est un excellent conteur. Les pêches qu'il nous raconte avec luxe de détails nous font rêver d'une époque où le poisson et les rivières étaient encore sauvages et où les "éclosions" pouvaient masquer le soleil.

 

La deuxième partie est consacrée à la pêche aux appâts naturels et en exclusivité il nous décrit un article tout nouveau qu'il a vu de ses yeux fonctionner, et à sa grande stupéfaction, tromper de nombreux poissons. Il s'agit d'une palette de fer blanc qui tourne sur un axe armé d'un hameçon triple appelée « cuillère. »

Et enfin, le troisième chapitre réunit les meilleures histoires de pêche de l'auteur, le cœur du livre fourmille déjà d'anecdotes vécues. Il écrit bien, dans le langage châtié de l'époque, c'est un vrai régal!

                                                                        

Quand à la dernière partie, signée Albert Larbalétrier, elle nous initie à une toute nouvelle science présentée comme le futur de la pêche " Le repeuplement des cours d'eau et la pisciculture". Hélas!

L'ouvrage est illustré de 80 vignettes, gravures naïves et bucoliques de scènes de pêche et de divers poissons.

 

 

La pêche à la mouche fouettée en France est pratiquée des passionnés toujours plus nombreux, comme en témoignent  les rééditions des premiers livre dédiés à cette pêche. Mais elle a encore dix à vingt ans de retard sur celle qui se pratique en Angleterre. Surtout au niveau du matériel et des mouches. Ce qui peut surprendre car nos pêcheurs hexagonaux gardent toujours un œil sur la mère patrie des moucheurs. De Massas inclut par exemple un extrait traduit du "Perfect angler" de Walton dans son livre. Les problèmes de communication et les menaces de guerres avec les voisins d'outre-Rhin sont peut être les raisons de ce retard.

 

 


                                                                             

 

Lucien perruche:   La Truite et le saumon à la mouche artificielle: / éditions halieutiques. paris 1922

 

"Aucun auteur français n'a encore publié d'étude détaillée de la fabrication des mouches artificielles pour truites et saumons … c'est pour cette raison que cette question a reçu ici quelques développements" L. Perruche

 

 

 

Lucien Perruche signe un manuel d'apprentissage relativement réduit, 143 pages, mais décrivant tout ce qui se sait à ce jour sur la vie des truites et des saumons. Il donne des cours de lancer avec croquis à l'appui mais ne fait qu'ébaucher les rudiments du montage des mouches artificielles. Il ajoute un aperçu des différents poissons que l'on peut capturer à la mouche artificielle, truite de mer, ombre, vandoise et chevesne, l'ouvrage connu un grand succès et nous connaissons au moins cinq rééditions de ce livre.

Dès la seconde édition (242 pages) il supprime la partie pêche aux appâts naturels et devons. Une présence qui lui fut imposée, précise t'il. L'éditeur aura sans aucun doute trouvé qu'un livre uniquement consacré à la pêche à la mouche risquait de n'intéresser qu'un nombre réduit de lecteurs, erreur funeste vu le nombre de réédition de l'ouvrage.

La partie consacrée à la pêche de l'ombre est signée du grand spécialiste de son époque J. d'Or Sinclair, pseudonyme de Paul de Beaulieu. Les pêcheurs d'ombres n'étaient pas légion à cette époque, et à la mouche fouettée encore moins.

 

Le livre de Lucien Perruche est une véritable anthologie des connaissances et du matériel utilisé au début du vingtième siècle en France. Docteur es science, Lucien Perruche précise dans sa préface " Les opinions exprimés dans ce livre … sont celles qui m'ont paru les meilleures … elles ne sont pas définitives".

 

Le matériel:

 

Lucien Perruche est fortement anglicisé par le contact direct avec le monde des moucheurs anglo-saxons et la lecture de leurs manuels et revues. Au sujet du lancer, il précise que les techniques françaises sont très primaires et apprises de façon empiriques, alors que nos voisins ont développé toute sorte de lancers, qu'il décrit avec leurs noms anglais.

Pour le fouet, il nous apprends que le bois est encore largement utilisé " greenhart (ébène), hickory (noyer blanc d'Amérique) et lancewood" (acacia), mais le bambou (on ne disait pas encore refendu) est présenté comme le nec plus ultra. Bambou d'Inde pour les fouets anglais et bambou du Tonkin pour les américains. Bien que plus économiques les "américains" (1 dollar aux USA et de 6 à 20 francs en France) sont considérés de moindre qualité face a la technicité anglaise.

Les cannes en bois sont plus fragiles, ce que nous savions déjà mais de moindre coût. Selon Perruche: "Il vaut mieux une "greenhart" de qualité moyenne qu' un refendu à bas prix".

Même en bambou, ces cannes étaient lourdes, certaines cannes étaient équipées d'une "lance" de cuivre qui se visse sur le talon, ce qui permet de piquer sa canne en terre le temps de bourrer une pipe, de changer de mouche ou de réparer un bas de ligne.

 

                                                              

 

La soie, toujours naturelle, bien sur, est tressée, imperméabilisée à cœur à l'huile de lin. L'auteur préconise déjà la soie "queue de rat" terminée en fuseau.

Le bas de ligne est en Florence ou en racine. Ces deux produits sont tout simplement en fil de soie. Ce qui est plus étonnant c'est la façon de récolter ce fil de soie tel que nous l'explique Lucien Perruche. La soie n'est pas dévidée du cocon , mais retirée directement des glandes salivaires du ver avant qu'il ne commence à filer. "Par des mains expertes" précise t'il, on le comprendra! La meilleure des soies vient de Murcie en Espagne. Les soie tissées sont traitées au carbonate de soude. Les purs pêcheurs en sèche préfèrent la Florence naturelle non passée par les filières, car elle est peu brillante, plus solide et s'effiloche moins rapidement, la plaie des pêcheurs en ce temps là. Mais la Florence ne peut atteindre la finesse d'une bonne racine qui est conseillée par eau claire et en période d'étiage.

 

Les Mouches

" Il n'existe pas en France de noms populaires pour désigner les insectes dont les imitations sont employées par les pêcheurs de truites. Comme on ne peut songer à employer les dénominations scientifiques, force est de les désigner par leur nom anglais". L. Perruche.

 

Perruche décrit tout le matériel nécessaire à la fabrication des artificielles, fourrures, plumes et dresse une liste de tout les différents colorants que l'on peut se procurer chez l'apothicaire: éosine, acide picrique, fluorescéine, tartrazine … Malheureusement toutes les mouches décrites sont des mouches anglaises, aucune n'est d'inspiration française: Blue Dun, Spent drake, Sherry Spinner, Olive Spinner, Pale Watery, Spinners, Red Spinner ... même l'oreille de lièvre appelée "Hare's ear" est un montage anglais.

Lucien Perruche s'évertue d'ailleurs à apprendre à ses lecteurs tout le vocabulaire anglais de la pêche à la mouche. C'est un excellent pêcheur et la plupart de ses observations peuvent être appliquées aujourd'hui sans que nous n'y changions un iota.

Cette deuxième édition qu'il nous a été donné de consulter comprend un paragraphe plus important sur la pêche au saumon. Les mouches à saumon décrites sont toutes anglaises et de type victorien, Wilkinson, sun Fly, Gold Riach, Jock Scott … Perruche fait une brève allusion à des mouches locales sur l'Allier ou en Bretagne, mais il précise qu'elles sont montées avec des matériaux naturels récupérés dans les basses-cours et à la chasse. Elles ne possèdent pas les vives couleurs des mouches anglaises, ce qui est à ses yeux un défaut tellement rédhibitoire , que, hélas, il ne donne aucune description de ces montages!

Lucien Perruche était sans aucun doute un excellent pêcheur de truites et de saumons, il pratiquait des rivières françaises d'une richesse que nous pouvons tout juste imaginer aujourd'hui, mais ce scientifique prévoit déjà la dégradation des cours d'eau français et espère que les générations futures prendront conscience et saurons protéger les eaux douces. Rien de changé depuis, car nous aussi espérons encore et toujours … des générations futures. Avec son ami Paul de Baulieu le pêcheur d'ombres, ils sont disciples exclusifs de Halford, ils connaissent et appliquent en France la pêche qui se pratique outre Manche. Comme Halford ce sont des pêcheurs en sèche exclusive et aucune allusion n'est faite à la pêche à la nymphe ni aux ouvrages de Skues qu'ils connaissent sans aucun doute.

Le livre compte seize photographies noir et blanc pleine page et de nombreuses gravures sur cuivre notamment pour nous permettre de suivre le montage des mouches sèches .

C'est un premier livre de pêche français décrivant la mouche fouettée. Toutes les expériences personnelles commentées par l'auteur sont judicieuses. Lucien Perruche est un excellent pêcheur, et son travail aussi pertinent aujourd'hui. Mais toute la partie technique n'est encore qu'une copie des manuels halieutiques anglais de l'école Halford.

 

1939 Les mouches à truites de Ryvez (pseud; Henri Edouard VEZE)

Pêche à la mouche sèche. Entomologie des mouches à truites. Utilisation des mouches artificielles. Fabrication des mouches artificielles.
Préface de M. le professeur Roule. Dessins de MM. Thor, Planet, etc...
116 pages.

                                                            


C'est le troisième livre français, et comme les deux autres, inconditionnel de l'école Halford, pas une seule allusion n'y est faite à la pêche à la nymphe.

 

 

Lee Wulf, (1905-1991), le père du "No Kill".

 

"Game fish are too valuable to be caught oly once" : Un poisson de sport est trop important pour n'être capturé qu'une seule fois.

 

 Lee Wulf est né à Valdez en Alaska en 1905. Un territoire où l'eau et la terre n'ont pas de limites. Difficile de dire si le petit Lee apprit d'abord à marcher ou à pêcher. Son père encourage sa passion et pour ses neuf ans, il lui achète sa première canne à mouche en bambou refendu. Il se jette alors sur les catalogues de "Chasse et Pêche" afin de trouver des images de mouches artificielles à imiter. Il monte à la main et sans étau, il procédera ainsi toute sa vie. Il voyagera dans le monde entier, pêchant et capturant tout ce qu'il peut qualifier de poisson de sport, s'obligeant à utiliser le matériel le plus léger possible. Il pointe ainsi les normes de la pêche sportive en mer et en rivière

.                                                                                 

 Lee Wulf et un 14 livres sur un cure-dent en bambou refendu

                                                   

. Au début des années 30, il monte les premières mouches de la collection Wulf: Grizzly Wulf, Black Wulf, Brown Wulf, Blonde Wulf et bien sur la. Mouche parfaite pour les eaux rapides et agitées.

                                                                                         

                                                                                                    Royal Wulf

 Insubmersible et très visible grâce à son toupet blanc. Elle connaîtra et connaît encore aujourd'hui un vrai succès en Nouvelle-Zélande et aux États-Unis, beaucoup moins en Europe où les truites sont plus regardantes et se laissent difficilement tromper par de tels plumeaux, même en eaux rapides. Monter une mouche aussi complexe sans étau est vraiment un travail d'artiste. À peu près au même moment il fait construire une collection de fouets en refendus par un ami facteur de canne, bambou du Tonkin et liège du Portugal.

 

   Dans les années 60 avec son inséparable compagne de pêche, sa femme Joan - que certains n'hésitent pas à déclarer meilleure pêcheuse que lui - ils découvrent Boca Paila (Caraïbe Mexicaine). Ils entreprennent la prospection des flats à la mouche et découvrent les incroyables atouts du permit (Trachinotus falcatus), du bonefish (Albula vulpes) et du tarpon (Megalops atlanticus) capturés avec une canne à mouche. Il invente ses premières artificielles "eaux salées" et vante leurs qualités sportives dans toutes les revues du monde anglophone. Les résultats ne se font pas attendre et les années suivantes, les flats à bonefish, du monde entier, deviennent le nouvel Eldorado des moucheurs aisés.

 
No Kill
L'anglais J. C. Mottram au début du XXe siècle relâchait ses prises, il disait défendre des principes moraux. L'américain Harold T. Pulsifer, à la même époque, cassait son ardillon pour relâcher ses prises "vivantes". John Alden Knight dans son livre "The modern angler" défend l'idée qu'un pêcheur désireux de jouir de son sport des années durant, doit impérativement relâcher une partie de ses prises. Enfin en 1939, Lee Wulf écrit son immortelle phrase dans son livre "Handbook of freshwater fishing".
Peut-être ne fut-il pas l'inventeur du No Kill, mais sans aucun doute il en sera le meilleur propagateur à travers le monde entier.
Il meurt à 86 ans en 1991 dans un accident d'avion au Canada, en se rendant sur un lieu de pêche, fidèle à l'image de pêcheur aventurier qui le rendit si populaire. Aujourd'hui encore, il jouit d'un véritable culte chez les pêcheurs d'Outre-atlantique et d'Océanie.
Sa femme continuera seule l'entreprise familiale, auteur de manuels et de DVD pour apprendre toutes les techniques du lancer, créatrice d'une soie Triangle-taper qui connaît bon nombre d'inconditionnels. Les soies synthétiques produites par la firme Lee Wulf sont parmi les meilleures du marché.

 

 


Le logo du Wild trout trust (GB).




Que pourrions-nous écrire aujourd'hui sur le "No kill" qui n'ait déjà été écrit et commenté des milliers de fois. Peut-être pourrait-on souligner l'intérêt psychologique que représente la "graciation"?


Pour les chasseurs-cueilleurs que nous sommes, ce simple geste représente une rupture radicale avec une tradition de plus d'un million d'années. C'est casser avec une peur séculaire de manquer, demain, de nourriture. Relâcher aujourd'hui, c'est avant tout un geste généreux et une révolution face à "l'utilité de l'action". Libéré de tout esprit de lucre et de rentabilité, le pêcheur ne pêche plus que pour le plaisir du jeu. Il tourne le dos à une pêche productiviste. Les conversations entre adeptes changent du tout au tout. Nous ne nous remboursons plus le permis, nous ne remplissons plus les quotas autorisés, nous ne mesurons plus nos prises en jurant pour un demi centimètre qu'il manque "pour faire la maille". Si notre vie professionnelle nous oblige à la rentabilité, l'oublier à la pêche c'est la liberté. Mais il n'est jamais facile de rompre avec un système qui gère entièrement notre vie.


Le No Kill, c'est évidemment sauver la vie de notre partenaire. D'adversaire le poisson devient compagnon. À son corps défendant, bien sûr, car lui, il continue à souffrir, ce que nous ne devons jamais oublier. La bonne conscience du relâcher a une limite, les souffrances que nous imposons aux poissons. Le stress d'être accroché, de ne plus coordonner ses mouvements et de se rapprocher inexorablement et à bout de force vers son ennemi mortel, peut tuer. Il paraît qu'une truite Fario trompée de trop nombreuses fois, arrêterait de se nourrir. Les parcours No Kill doivent être étendus sur de longues distances pour éviter que le poisson ne soit massacré par de trop nombreuses captures.


Enfin, le No Kill, comme l'entretien des cours d'eau, est la philosophie qu'il manquait à la pêche à la mouche pour devenir un vrai loisir écologique