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         Une 
          journée particulière 
          
          
          
          
        ''Non!...'' Me dis-je, me 
          faisant violence... ''Pas aujourd'hui...''  
        Je me parle à moi-même au 
          cas où vous ne l'auriez pas compris. Ma femme aurait pu m'en dire autant 
          mais elle serait moins sensible à mes arguments que moi-même aussi, 
          je ne lui parle même pas du combat que je livre contre la furieuse envie 
          qui me tenaille 
          de me rendre à la pêche.  
        Une affaire d'homme à régler 
          entre homme, même si c'est un monologue. Les femmes peuvent pas 
          comprendre...  ' 
           
          'T'as du boulot que je me répète... le gazon! La clôture! La pergola... 
          Un clou par-ci, un clou par-là...''  
          Je croirais entendre qui vous savez.'' Le gazon? Tout bien réflechit, 
          il peut attendre le gazon... Si je commence aujourd'hui c'est parti 
          pour la saison. Jamais trop prudent. La clôture? Trop long à mettre 
          le matériel en oeuvre... surtout sur une fin d'après-midi... La pergola? 
          Même chose! Les clous? J'ai pas la bonne dimension! ''  
        Ben voilà, c'est réglé! Suffit 
          d'aborder la question de façon rationnelle. J'ai bien fait d'aborder 
          ces thèmes en colloque singulier et de ne pas les aborder avec ma moitié, 
          on en aurait eu pour des heures de discussion, économie de moyens, or 
          le temps presse...  
          ''Chééééérie! ''que je l'avertis à travers l'escalier. ''Je reviens 
          pour 21 heures, hein! Je vais pêcher! T'entends? Eh, oh, chérie , t'entends? 
          J'suis parti, hein... M'attendez pas pour souper, je mangerai en rentrant... 
          Ça va?'' 
         
          A peine ai-je vaguement entendu une approbation forcée que je suis 
          dêjà parti! Je ne cours pas, je vole! Je vais pêcher. Je ne sais pas 
          vous, mais moi, il suffit que cette idée me traverse l'esprit pour me 
          faire l'impression d'être un gamin de dix ans! Jouvence de l'abbé Souris, 
          j'ai pas d'âge, que des artères qui trepignent d'impatience d'y être. 
          Je lance le moteur diesel de mon bolide, démarre, manque d'écraser le 
          chat du voisin, la voisine et ses sales moutards et me voilà parti! 
           
        A peine le temps de me 
          projeter dans la future partie de pêche que déjà je me pose au bord 
          des rives! Température extérieure 8° centigrade, pression atmosphérique 
          stable, taux d'humidité aux alentours de 85%, vent de sud-est estimé 
          à vingt kilomètre à l'heure. Extinction moteur, ouverture des portières 
          imminente. J'actionne la poignée et une bouffée de fraicheur humide 
          fleurant bon la terre mouillée m'envahit! Je me roulerais dedans... 
          Délicieuse odeur d'humus après la pluie que l'on retrouve au bord de 
          l'eau. Je respire à pleins poumons, la tête me tourne, je me grise d'air 
          frais.  
          Preste, j'enfile ma combinaison néoprène et le gilet multipoches 
          et me voilà à pied d'oeuvre. Un rapide examen des lieux me persuade 
          de tenter le coup avec une dix petits pieds pour l'homme mais de géant 
          pour l'humanité car c'est l'Humanité que je représente ici enfin, une 
          partie de l'Humanité, celle du peuple des eaux et des roseaux. L'autre 
          part ne compte pas, ne compte plus, n'existe plus, je me fous de cette 
          part de l'Humanité comme de ma première culotte. Peuvent pas comprendre, 
          les pauvres.  
        Au bord de l'eau je choisis 
          ma mouche en regardant ce qui flotte! Ben, faut dire qu'il y a pas 
          grand chose qui flotte à la surface. Je scrute. Je scrute encore. Mieux. 
          J'écarquille les yeux... Peau de balle! Y a rien qui flotte! Ah, si, 
          là, une exuvie entre deux eaux... Encore et toujours des chironomes... 
          Bof, les midges sont trop petits, pas intéressants. Et là, c'est quoi? 
          Une drôle de petite mouche aux ailes toutes rondes s'envole. Corps beige, 
          ailes rondes, les premiers mouvements sont tellement rapides que cette 
          bestiole donne l'impression d'être piquante! Un diptère dont la larve 
          est aquatique, début avril? Lequel? J'en sais rien! Je me creuse la 
          tête. Je pense à la mouche de je ne sais plus quoi... le truc typique 
          du début de saison. La mauve de quelque chose... non, j'sais plus. Honte 
          sur mon joli visage! Je cale... Peut-être une simulidé? Bon, ben c'est 
          ça qu'y me faut mais j'ai pas!  
          
         
          Pas le choix, je commence avec une petite tricolore. Même quand 
          je veux choisir la mouche exacte j'y reviens, à la tricolore. Mouche 
          sur hameçon de 16, bas de ligne en 14/100e pour les détails techniques. 
          C'est parti mon kiki, et hop, je balance quelques coups afin d'étendre 
          la soie. La mouche se pose délicatement à la surface de l'eau. Le roi 
          n'est pas mon cousin! Je pêche l'eau, pas le moindre gobage. Je réfléchis 
          à la manière de procéder et progresse lentement le long des berges hautes. 
          Je suis bas sur l'eau et les hautes berges m'obligent à étendre la soie 
          latéralement sans pouvoir véritablement pêcher au large. A l'aplomb 
          de ma mouche les fonds sont conséquents et parfois supérieurs à 5 mètres. 
          Je cherche le poisson mais celui-ci ne se montre pas. En observant la 
          surface de l'eau je m'aperçois que les éclosions de ces petites mouches 
          sont plus nombreuses que je ne le pensais et se produisent par groupe 
          de 4 ou 5 que l'on repère à la phase durant laquelles elles s'agitent 
          intensement à la surface avant de prendre leur envol. Je serais une 
          truite que ce seraient ces groupes que je tenterais de repérer. Bon 
          ben, voilà l'idée, il suffit de repérer ces éclosions et d'y mêler ma 
          mouche pour tenter de séduire une truite attirée par ce manège. La demie 
          heure qui suit me voit m'appliquer à partager les moments d'intimité 
          de ces petites bestioles en y jetant ma mouche au milieu. Le temps passe, 
          rien ne bouge.  
          
           
           Et puis 
          soudain, dans mon dos, une voix! ''Alors , ça mord?'' Oh, meeeerde! 
          V'là l'emmerdeur de service... Je me retourne pour voir à qui j'ai à 
          faire... Monsieur et Madame et le chien sont arrivés dans mon dos sans 
          que je les entende. Encore heureux qu'ils ne soient pas pris la soie 
          dans la tronche. ''Un peu'' que je réponds évasivement tout en changeant 
          d'angle d'attaque pour les préserver d'un cinglant revers de soie. ''Vous 
          avez déjà pris quelque chose?'' s'enhardit la luronne accompagnant le 
          propriétaire du labrador qui patauge en m'agaçant. Ma réponse ne lui 
          suffit pas semble-t-il... ''Non, rien.'' Pour faire court... et en espérant 
          m'en débarrasser vite fait. ''Ah? '' Fait le cocu manifestement trés 
          étonné que quelqu'un puisse perdre son temps le cul dans l'eau sans 
          prendre de poisson. ''Et il ya longtemps que vous pêchez?''Rajoute-t-il, 
          curieux. Je ne réponds, pas, fais semblant de m'intéresser à ma mouche 
          en attendant qu'ils daignent lever le camp. Je comprends mieux ce que 
          René Fallet ressentait en pareille circonstance.... ''Il y a longtemps 
          que vous pêchez?'', répète le cornard. ''Plus de cinquante ans'' que 
          je suis tenté de lui répondre mais ça ne résoudrait rien!   
          
          Je me retourne alors, me sentant obligé de faire la causette. 
          ''Trois quart d'heures environ'' que je fais en revenant sur la rive 
          pendant que ces imbéciles lâchent le chien qui s'en va pousser une crotte 
          comme une taupinière à quelques mètres de nous avant de prendre un bain 
          de siège dans le lac! Putain, le coup est foutu, le toutou s'en va en 
          nageant , tenté par la traversée. Je rêve un instant de le voir couler 
          et des les voir se noyer en tentant de voler à son secour! ''Et vous 
          pêchez quoi?'' demande Madame. ''La truite...'' ''La truite? Ah, il 
          y a de la truite ici? Je savais pas... Tu savais, chéri qu'il ya de 
          la truite ici?'' interroge la pétasse. ''Oui, bien sûr'' répond ''Chéri'' 
          sans rien en savoir mais histoire d'en remontrer à sa charmante et douce 
          épouse! '' Et il y même des saumons!...'' qu'il rajoute pour bien la 
          convaincre de l'étendue de ses connaissances tout en cherchant mon approbation... 
          Bien obligé de répondre par la négative, je ne peux pas faire autrement 
          que de lui casser la baraque. Il baisera pas ce soir, désolé pour lui. 
          ''Euh, non, des saumons, non... Des truites, de grosses truites, oui 
          mais des saumons, non!... ''Je suis bien obligé de rester objectif, 
          quand même, hein? ''Si, si, il y a des saumons'' insiste l'autre d'un 
          ton péremptoire, ''vous saviez pas?'' ''Ah! Ben, non, je savais pas.'' 
          C'est bien ma veine, je suis tombé sur le trou du cul de service! Pendant 
          ce temps-là le clebs est occupé à me foutre 50 mètres de parcours en 
          l'air mais la femme commence à s'apercevoir que je la trouve saumâtre. 
          ''Chéri, le chien, tu ne crois pas qu'il faudrait le rappeler?'' Et 
          bonhomme de crier après Médor et de tenter de l'intéresser en lui jetant 
          des bouts de bois dans l'eau! Je me sauve aussi vite que possible en 
          espérant qu'ils ne me suivront pas. Par chance je crois qu'ils ont compris 
          et s'en vont dans une autre direction. 
          
         Le temps passe et je 
          n'ai pas encore eu grand chose à me mettre sous la dent. Pourtant, je 
          pense que ma stratégie est la bonne et en l'absence de gobages et de 
          signes d'activité je ne vois pas bien ce que je pourrais faire d'autre. 
          Je m'éloigne de la zone sinistrée en me promettant de ne pas marcher 
          dans la mine canine laissée en cadeau par le clébard lorsque je repasserai 
          par ici et je me dirige alors vers une anse particulièrement bien abritée 
          du vent. J'observe la situation à nouveau et encore une fois, j'aperçois 
          des éclosions de ces mouchettes, Toutefois, celles-ci se produisent 
          plus au large que sur la rive que je viens de quitter. Encore une fois, 
          j'adopte la même stratégie mais il est beaucoup plus difficile d'atteindre 
          les groupes de mouchettes. 
         Une bonne heure se passe. 
          Dans l'eau jusqu'à la ceinture, mon gilet commence à prendre l'eau et 
          bien que les boîtes à mouches ne soient pas dans les poches les plus 
          basses je n'ai pas envie de prendre trop de risques. Je vois le fond 
          de l'eau mais celle-ci est tellement claire que je pourrais bien me 
          tromper de cinquante centimètres et connaître des problèmes aquatiques. 
          Prudent, j'étends la soie en fouettant aussi haut que possible, à bout 
          de bras. Je n'arrive pas à lancer à trente mètres et les mouches sont 
          encore au-delà. Une fois, deux fois, dix fois, j'essaye de les atteindre 
          sans y parvenir et puis, naturellement, c'est à ce moment là  
          
        qu'une fario 
          marsouine au milieu d'un groupe de mouches qui vient d'éclore. Une fois, 
          deux fois, trois fois. Hop, une, deux, trois mouches avalées. Si la 
          mienne avait été au milieu elle l'aurait prise! Hélàs, rien à faire, 
          c'est trop loin, je n'arrive pas à atteindre cet endroit. Je tente de 
          progresser encore un peu mais je ne me sens pas à l'aise. La truite 
          se montre encore et cette fois, saute pour attraper les mouches qui 
          prennent leur envol. Rien à faire. Je suis frustré mais heureux d'avoir 
          pu l'admirer. Beau joueur, hein? 
              
         
          Une petite, 24 cm tout au plus, la maille, quoi. Beau poisson, 
          bien proportionné d'après ce que j'ai pu voir et à la robe magnifique. 
          Je me fais une raison, ma stratégie semble être la bonne et j'ai identifié 
          une mouche dont les éclosions sont assez importantes et sur laquelle 
          les farios montent!  
          
        Je me replie 
          prudemment en me promettant de remettre le couvert aussi vite que possible 
          et je prends la direction de la maison 
                                                                                           
                                                                               
              
                                                                                                                                                                                     
                                                                                                                                                 Texte 
          et illustrations de 
                                                                                                                                                  Yves 
          Deschuyter 
          
        ************************************ 
          
          
                                 
                        
                 
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