La carpe à la patate

                                                                                           

 

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 L'été  de nos 10 ans  fut notre été "carpe", que nous allions pêcher, Philippe et moi,  en compagnie d'Alain Causeret dans l'étang de son père à Lantenot!

                                                             

Alain en effet avait eu l’imprudence, un jour ou nous revenions ensemble de l’école, de nous annoncer pompeusement que son docteur de père possédait un étang plein de poissons ….et nous n’avions eu de cesse avant d’obtenir la  permission d’y aller tremper notre fil !!

 

L’affaire avait été « un peu chaude » car on était assez « regardant » chez les Causeret, du fait de "Madame Mère" dont on avait une trouille bleue...…mais comment refuser cela aux amis du fils de la maison ?? L’autorisation fut donc accordée sous réserve qu’Alain nous accompagne pour être le témoin permanent de nos agissements tant était grande la crainte de nous voir affecter gravement le capital piscicole de la famille ! C’est pourquoi Alain qui n’était pas très porté sur la pêche  nous accompagnait systématiquement  afin de nous « contrôler », du moins.... chaque fois que nous n'omettions pas de l’informer de notre départ pour l’étang… !!

 

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 La partie commençait la veille au soir par la préparation des appâts, et n’était pas une mince affaire car je m’étais informé et j'avais appris que la carpe se pêchait (à l’époque !!) à la pomme de terre, cuite

-juste assez pour être assez molle pour accepter l'hameçon , et  tenter la carpe

- mais pas trop pour ne pas s’effriter lors des manipulations,  ni se déliter lors de son séjour prolongé au fond de l’eau !!

Vaste programme en vue duquel  la cuisine m’appartenait quand mes parents avaient accepté, après les recommandations d’usage, de me laisser me débrouiller pour « faire ma tambouille »..... sans mettre le feu à la maison !

 

Mon père m’a avoué plus tard avoir gardé longtemps le souvenir indigeste des préparations trop ou trop peu cuites que lui accommodait  ma mère  le lendemain de mes essais culinaires en lui refilant les spécimens que j’avais mis au rebut, pour cause de « cuisson ratée » car pour une esche de quelques centimètres cubes, il me fallait sacrifier, grosso modo, deux patates !!

 

 C’est qu’il  fallait  tailler dans le légume  cuit « à point », une pyramide en gardant  la pelure à la base, au milieu de laquelle il fallait enfoncer bien droit par la tige le triple qui  devait pénétrer sans la faire éclater et dont les 3 pointes devaient affleurer la surface alors que  seul  devait à peine dépasser le sommet de la pyramide l'oeillet pour attacher le fil !

 

C’est dire que pour préparer le soir 4 ou 5 appâts "fourrés" de leur triple … il me fallait  « travailler »pendant  environ 2h…un bon kilo de patates !!

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  L’étang était distant de 13km après le pont sur le Breuchin , par Saint Sauveur puis Rignovelle sur la route de Melisey ! Après quoi, en haut de la côte un peu rude à nos mollets de 10

ans,c’était  la sortie de Lantenot  

                                                              

                                                             

 

puis  l’étang  à gauche, en bord de route avec juste la place pour déposer nos vélos à l’aplomb du muret portant la vanne de vidange !

 

                                                               

 

  Il était agrémenté de 3 petites îles flottantes couvertes d’arbres  qui, en fonction du vent, se déplaçaient lentement et pouvaient en une après midi traverser complètement les quelques 200mètres de la largeur ! Notre premier réflexe en arrivant était de les repérer, avant de monter et de lancer l'appât au bout du  40%  lesté 50 cm plus haut  d’une olive bloquée par deux plombs !

 

 Fil tendu par le poids de l’olive posée sur le fond, canne posée et coincée par deux fourches taillées dans les noisetiers de la rive, moulinet bloqué et frein réglé, il ne nous restait plus qu’à attendre la touche en taquinant au ver avec la petite canne les perchettes et les carpillons nombreux à  disputer nos appâts aux inévitables poissons chat et perches soleil qui pullulaient!

 

                                                                                                         

                                

J’appris vite à éviter de me piquer à la dorsale agressive des petits monstres noirs et gluants qui poussaient le vice jusqu’à engamer, avec leur large gueule aux grandes moustaches,  au plus profond sans faire trembler le bouchon, et que nous abandonnions sur la berge, après avoir été parfois obligés de leur ouvrir le ventre pour sauver notre hameçon, alors que les perches soleil moins discrètes et bien plus jolies  s’avéraient  immangeables mais très décoratives dans nos aquariums ce qui leur garantissait la vie sauve, tant qu’elles résistaient  au confinement qu’elles supportaient assez bien !!

                                                                                                              

 

Furieux de la présence de ces « nuisibles », je pestais contre leur prolifération dont je  rendais responsable la famille Causeret  en culpabilisant Alain, alors  qu’ils arrivaient la par l’intermédiaire des oiseaux migrateurs qui rapportaient de leurs précédentes étapes  leurs oeufs collés sur leurs pattes ou leur plumage, et ce n'est que lorsque j'appris bien plus tard que les poissons chat originaires d'Amérique du nord avaient été importés en France en 1871 dans les bacs du muséum d'histoire naturelle d'où ils se seraient échappés pour rejoindre la Seine par les égouts,  qu'Alain fut définitivement disculpé!!!

 

Par bonheur, les carpillons et les petites perches étaient également nombreux et se prenaient régulièrement à nos petites lignes et malgré les protestations énergiques du « fils du proprio »,  nous avions vite organisé leur transport dans des « viviers » bricolés dans des seaux, à moitié remplis de l’eau de l’étang qui brinquebalaient suspendus à nos guidons vacillants et dans lesquels, mêlés aux perches soleil, ils résistaient fort bien au trajet de retour pour arriver sains et saufs à la maison à destination, en principe, de nos aquarium respectifs !!

 

                                                                                                  

 

 En fait, si je gardais bien en captivité les perches soleil, je m’empressais dès que possible, en grand secret,  d’aller rendre la liberté aux perchettes et carpillons…dans le Breuchin où j’espérais les retrouver adultes quelques années plus tard……ce qui ne manqua pas d’arriver, d’ailleurs, d’autant que ce traître de Philippe m’avoua, avec beaucoup de retard, qu’il avait toujours agi de même et remis, à mon insu,  perches et carpillons dans le Breuchin……quasiment aux mêmes endroits que moi ! Ce mensonge réciproque par "omission" n’altéra pas notre amitié !!

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Il arrivait de temps à autre que le frein du moulinet se mette à chanter alors que se dévidait le nylon entraîné par une carpe suicidaire ou affamée qui s’était décidée à engamer notre étrange montage, et j'appris ainsi qu'il existait  deux sortes de carpes, celles que nous appelions les « carpes cuir » de couleur marron, et les brillantes à petites écailles que nous appelions les « carpes miroir » !

 

Il fallut nous rendre à l’évidence plus tard que notre carpe miroir qui brillait était en fait la carpe commune sauvage d’origine

 

 

                                                                           

                                                                               ,

 

 et que « notre carpe cuir » qui semblait recouverte de cuir marron avec ses grandes écailles était en fait, contre toute évidence…la carpe miroir, espèce domestique  de pisciculture

 

                                                                            

                                                                          

                                                                             

 

 

                                                                           

comme  la vraie carpe cuir, celle la sans écaille du tout,…la troisième, encore différente !!!!! 

 

                                                                           

                                                                                                                                                      

 

                                                                                                    

 

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Quoiqu’il en soit, il nous est arrivé de prendre une ou deux carpes de 2 ou 3 kg car nous pêchions en fait juste dans de la fosse où se situait la vanne de vidange et dans laquelle elles se rassemblaient  en profondeur !

 

 

Quand je pense à notre 40% au bout duquel pendait ce bout de patate farci d’un triple et que je vois aujourd’hui la complexité des bouillettes utilisées par les carpistes sur un matériel ultra sophistiqué…je me demande si je n’ai pas rêvé…mais non…il nous est bien arrivé de sortir quelques carpes ainsi outillés mais la, pas question de les garder, notre contrôleur se serait laissé dépecer vivant plutôt que de nous les voir sacrifier ..raison pour laquelle nous omettions de temps à autre de l’emmener avec nous…..il fallait quand même bien tâter du…fruit défendu,.. délicieux avec son goût de péché relevé par un soupçon de parfum vaseux !

                                                                                                              

 

 Le souvenir le plus marquant de ces parties à l’étang est une scène rocambolesque dont le héros fut Alain, preux défenseur du patrimoine familial !

 

 Alors que nous batifolions une après midi avec nos perches et nos carpillons, une voiture s’arrêta et un « Parisien » (tous les étrangers qui "n’étaient pas de chez nous" et roulaient en voiture immatriculée ailleurs que dans le 70 étaient pour nous des « Parisiens ») en descendit pour nous faire la conversation, s’enquérir de l’étang et de la pêche que nous y pratiquions avant de sortir son matériel et de s’installer, à l’aise,  à côté de nous pour bientôt sortir  une carpe  de belle taille !!

                                                                                     

 

   Il remballa prestement canne et moulinet et avant que nous ayons réalisé , il avait déposé sa prise dans le coffre et  s’installait au volant….quand l’héroïque fils du propriétaire eut son instant de gloire : outré par ce sans gène qui le rendait furieux, le timide Alain se précipita et cramponné à la poignée de la portière il se mit à remonter les bretelles du goujat  qui finalement n’en menait pas large devant ce gamin de 10 ans qui lui faisait la morale et le traitait de voleur en essayant de retenir la voiture qui emmenait ce fuyard peu glorieux alors que, venus à la rescousse, nous le poursuivions  en lui lançant des pierres… !!

 

 Alain venait de gagner ses lettres de noblesse…..On était certes « regardants » chez les Causeret, pour ne pas dire un peu « radins » mais nous avions perçu que la courageuse révolte de notre copain était due, non pas à la perte du  poisson, mais bien  à son incompréhension et à son refus du comportement malhonnête d’un adulte de l’âge de son père vénéré,  personnage "Vieille France" d’ une droiture et d’une honnêteté " viscérales" dont il avait hérité comme il venait de le prouver!

   Honteux et humiliés pour le fuyard, nous n'aurions pas  pas aimé "être à sa place", ni maintenant, ni jamais ....ce qui ne risquait plus de nous arriver après pareille" vaccination " !! Du haut de ses 10 ans, Alain  venait de nous faire grandir...!

 

 Il  fut consolé par le sacrifice que nous lui fîmes  de nos barres de chocolat de goûter qui étouffèrent ses sanglots….. .et il  fut décidé de taire l’incident aux adultes.

                                                           

 

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   Le retour fut différent de l’habitude…car nous n’avions plus envie de  semer Alain comme auparavant pour le laisser loin derrière, pourtant  nos seaux étaient bien légers alors que par égard pour lui, nous avions remis  à l’eau perches et carpillons...!

 

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 Un nouvel épisode comparable devait,  quelques années plus tard, constituer pour Philippe et moi, un "rappel" de  cette primo vaccination et du souvenir d' Alain:

 

Alors que nous nous appliquions au bord du Breuchin à accrocher avec un triple repéré par une boulette de mie de pain une de nos carpes qui croisaient autour d'un reste de poteau de la vieille passerelle démolie où nous avions déversé nos carpillons de l'étang de Lantenot qui y avaient prospéré et grossi, un "parisien" s'arrêta, sortit son matériel qu'il arma, comme nous, d'un triple et réussit à en crocheter par le flanc une de 2 kg prestement sortie et emballée dans son coffre avant un démarrage éclair qui nous laissa médusés, mais Alain n'était pas là pour courir après...!

 

Pour être partis tous deux en pension, nous avions perdu définitivement sa trace  lorsqu'il avait déménagé peu après!!

 

 

 

Les hasards de la vie

* nous avaient séparés en 1950 à l'âge de 10 ans,

*et alors que philippe nous avait définitivement quittés en 1975,...

*nous ont rapprochés l'un de l'autre sans nous permettre de nous reconnaitre, le 10 mai 1981, jour de l'élection de F Mitterrand à la présidence dont nous avons entendu le résultats à la radio du bateau sur le chemin du retour de l'ile des Ebihens , où nous étions allés en groupe pique niquer en voilier, et dont le propriétaire s'était engueulé, à 50 mètres de moi, avec un copain auquel il interdisait de couper son bois pour faire du feu sur la plage........!!!

 

*et les hasards d'internet nous réunirent enfin Alain et moi, après 60 années de séparation en aout 2010 sur cette même ile des Ebihens de la baie de Saint Malo, car c'était bien lui le propriétaire irascible, à juste titre, que je n'avais pas reconnu 30 ans plus tôt......mais c'est une autre histoire......!!