C.Ritz: Pris sur le vif

 

En 1938, alors que la pêche de la Traun appartenait au docteur DUNCAN et que sa densité en truites et ombres avait atteint son apogée (quantité et taille), j'ai eu la chance de passer avec Kustermann et le fameux Hans GEBETSROITHER une soirée inoubliable sur les profonds situés au-dessus de la pension Marienbrücke.........

Nous arrivons à 5 heures au Gasthof Marienbrücke de Mme HOPLINGER, où nous trouvons Hans qui nous informe que les truites et les gros ombres montaient très bien la veille et nous recommande d'être prêts pour sept heures au plus tard...........
A l'heure exacte, nous embarquons dans le bateau de Hans. ......... Il fait encore trop jour pour pêcher les trous des gros. Je me place à l'arrière du bateau, Hans en tête avec son énorme perche, et nous remontons, lentement ,le courant de la rive gauche à la recherche des premières montées....
Il commence à faire noir maintenant et Hans, qui ne quitte pas l'amont des yeux, s'écrie soudain:
- Allons-y! Je viens d'apercevoir trois gobages, dont un au-dessus du poste de la grosse truite que j'ai repérée hier au soir!

Il soulève l'ancre d'un mètre environ et laisse le bateau dériver lentement, reprenant de temps à autre contact avec le fond pour guider et redresser l'embarcation, mais avec beaucoup de précautions pour réduire les chocs au minimum. Enfin, il immobilise la barque :
- Herr Ritz, à vous le rond de droite, les autres sont des montées d'ombres.
Je n'ai rien vu, Hans s'impatiente:
- Dépêchez-vous, cette truite n'a pris que quatre fois hier au soir.
La voilà de nouveau mais, cette fois, à un mètre plus en amont. Vu. Je pose trop long, laisse siller les mouches pendant trois mètres avant de décoller le bas de ligne le plus délicatement possible.
La truite remonte, je représente, relève très lentement la pointe de la canne, le bras tendu pour éliminer toute action du poignet.
- Ferrez! hurle Hans.
Mais, avant d'avoir eu le temps de réagir, ma canne plie à casser. Le poisson s'est ferré tout seul à la descente: cas rare: ils recrachent presque toujours instantanément. Le moulinet se dévide très vite. Je tente un premier arrêt, mais en vain. La pointe du scion plonge dans l'eau.
- Haut la canne, Herr Charles!

L'émotion crée toujours un penchant d'intimité alors que, normalement, personne n'est plus réservé et plus protocolaire que Hans! J'essaye de relever la canne, mais mon poignet s'y refuse. Le moulinet a perdu toute la soie; heureusement, j'ai 50 mètres de réserve. Je n'ose estimer la taille du poisson, mais j'ai l"impression de tenir un saumon sur une canne à truite.
Enfin, un léger temps d'arrêt, j'essaye de pomper, mais c'est comme si je tenais le fond. Subitement, nouveau démarrage suivi d'un choc brutal et du mou.
- Cassé sur un roc
, comme d'habitude. C'est la seule consolation que m'offre Hans!..............;
- A vous, Hen Ritz! me crie Hans.
Une truite directement en aval du bateau, à 8 mètres! Comme d'habitude, je n'ai rien vu. Je lance sans résultat.
- Herr Ritz, vous sillez trop tôt et déportez vos mouches trop à droite, une tirée de plus du moulinet!
J'obéis et me voilà en pleine bagarre avec une truite!........... Trois fois, Hans essaye d'épuiser ma truite qui replonge chaque fois. Enfin, la voilà. Plus d'un kilo. Une superbe lachsforelle, venant du lac. C'est un de ces magnifiques poissons à la livrée d'argent marquée de croix noires, dont la vigueur est exceptionnelle............

Soudain, Hans saisit la chaîne: - Herr RITZ, prenez vite votre Parabolic compétition et vérifiez vos hameçons. Si vous avez des Sedges sur n° 8 changez de mouche.
Je n'en ai qu'un, que j'attache en pointe.
- Nous allons maintenant nous rapprocher du gros roc du centre, je crois avoir aperçu un rond. Si oui, attention: à cet ,endroit il doit y avoir un gros lachs, je l'estime à près de trois kilos, mais il ne monte pas tous les soirs, c'est un vieux cannibale. Et, croyez-moi, si vous l'accrochez, vous passerez un rude quart d'heure!
Nous levons l'ancre et, par anticipation, je suis en transes!........... Nous voilà en place. Sur les indications de Hans, je tire quinze brassées de soie et je pose. Je suis très ému. La pensée d'un ferrage manqué me paralyse. Voilà mes mouches qui viennent de terminer les deux mètres de dérive prescrits par Hans, je lève très lentement la pointe de la canne, elle tremble et... je ressens une traction formidable. J'essaye de ferrer. Je suis bien accroché mais je donne quand même deux petits coups de pointe pour consolider la tenue de l'ardillon. Le moulinet chante! -
Vous l'avez! Attention! La canne haute, placez-vous au centre du bateau, je lève l'ancre. Nous allons essayer de nous écarter du roc, il va certainement tenter de rejoindre son repaire sous le roc et ce sera la fin, comme d'habitude.
Pour une fois le pessimisme de Hans n'est pas confirmé, et le poisson descend le courant à toute vitesse vers la passerelle du barrage. - Suivez-le, Hans, il faut que je reprenne du fil. S'il continue et se décide à changer de direction avant que je ne puisse le ralentir, la résistance de l'eau sur ma ligne risquera de me faire casser.


Mais non! la ligne s'arrête. Suis-je encore cassé? Ma gorge serre. Non! car voilà, à 50 mètres à gauche, un bond formidable: un énorme lachs saute deux fois puis replonge et cale à fond. Le bateau s'est maintenant rapproché et, enfin, je le décolle du fond en pompant. Il repart mais je l'arrête à nouveau, et le voilà qui commence à tourner en rond autour du bateau, mais refuse quatre fois de se laisser remonter.


J'ai mal au poignet et suis contraint à tenir la canne avec les deux mains. Tant pis! je tire à fond, il remonte ou je casse. Enfin, le voilà qui faiblit et se laisse remonter. Hans éclaire avec sa lampe et, soudain, nous apercevons une masse d'argent qui continue à lutter avèc désespoir. Enfin, après plus d'un quart d'heure d'angoisse, l'énorme épuisette de Hans plonge dans l'eau.

Le lachs repose au fond du bateau, large, puissant, merveilleusement marqué: c'est un vieux mâle.

Hans yolde de joie: - La i tout! la i tout! Bravo, lieber Herr Charles!