La plus belle truite de mon enfance !!

 

 

                                                                              

 

                                                                                    

C’était l’été de nos 13 ans !Nous avions décidé d’aller faire notre parcours favori sur le Breuchin, et aval d’Ormoiche pour le remonter sur environ 2 km, sûrs à cette époque bénie de ne croiser personne de la journée…sinon quelques poissons qui se laisseraient peut être  abuser par nos cuillères !

 

 Nous pêchions au lancer; Philippe ne s’était pas encore mis à la mouche et ne m’avait donc pas encore converti !

 

 Il était passé me prendre très tôt après le repas de midi et à 13h nous étions en route sur nos vélos préparés la veille, les cannes ficelées sur le cadre, la musette en bandoulière avec le casse croûte, pour les quelques 12 km qui nous séparaient  de notre but !

 

C’était une chaude journée de juin, plein soleil dans un grand ciel bleu sans un souffle de vent, qui aurait pu  être étouffante sans l’abri de la forêt omniprésente et des rivières au bord desquelles l’herbe était toujours verte et grasse à l’ombre des grands arbres…

                                                                                                                                                        

Après avoir traversé la forêt de la route de Breuches, bien à l’abri  de la chaleur sous la voûte de verdure, arrêt traditionnel a l’incroyable  bistrot sombre et frais installé dans la seule vieille maison du bord de route, à 300m du château et à plus de 1km du village….., aussi isolée qu’une maison forestière et bien pauvre en consommateurs…mais c’est là que nous remplissions nos gourdes d’une bouteille de limonade sortie d’un immense frigo  par la vieille tenancière qui nous connaissait bien, nous, ses plus fidèles clients !!

 

Puis c’était Ormoiche, son bac à fleurs aménagé dans un grand abreuvoir en pierre devant la mairie, face à la grosse ferme à l’immense porte cochère arrondie comme une voûte romane , flanquée d’un gros tas du fumier sur lequel caquetaient en permanence quelques poules boulimiques qui mettaient en rage le gros chien noir attaché à sa niche,  et 2km plus loin la rangée de peupliers à 100m de la route sur la gauche signalant la rivière  au fond du pré occupé en permanence par un troupeau de vaches qui nous connaissaient si bien qu’elles  ne se dérangeaient même plus lorsque nous passions au milieu d’elles en poussant nos vélos et qu’il nous fallait les contourner sans espoir de les voir se lever de leur sieste pour nous libérer le passage

 

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   La rivière était la, avec vers l’aval à droite la souche juste avant la descente du courant, en face, le plat avec le petit couloir entre l’autre rive et la coulée verte de renoncules où gobaient quasiment en permanence 2 ou 3 truites, et à gauche au premier virage, la grosse souche en plein milieu du lit sur laquelle venait mourir le courant d’amont, le premier de notre parcours en remontant qui débutait à l’embouchure d’un petit ruisseau affluent de la rive droite où j’avais déjà pris plusieurs brochets,  poste  recherché car systématiquement  colonisé  par un  nouveau locataire de même taille  peu après la capture du précédent !!

 

 Vélos couchés dans l’herbe, cannes à lancer  en métal montées avec nos moulinets « Luxor luxe » garnis de 50m de 24%, cuillère Meeps 2 blanche ou jaune avec ou sans points bleus ou rouges selon le temps et l’inspiration du moment..et c’était parti, en wading au besoin grâce à notre équipement  «  short espadrilles »   avec lequel nous craignions plus les ronces que les trous les plus profonds !!!

 

Traditionnellement Philippe passait devant, nous n’avions d’ailleurs pas la notion que passer devant présentait un avantage quelconque…..

 

Alors que j’étais descendu  pêcher les abords de  la première souche d’aval, sans résultat, Philippe commençait à remonter la rive droite et  je venais de relâcher une petite de 15cm prise au milieu  du plat  quand  je vis sa canne se plier alors qu’il explorait les dessous de la grosse souche du début du parcours……pour mettre au sec après une lutte assez rude au bas du courant encore  puissant une belle fario  qui, nuque cassée, rejoignit le casse croûte au fond de sa musette… !

 

                                                                                               

 

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L’après midi commençait bien …mais les deux heures suivantes furent décevantes…Après avoir en vain peigné consciencieusement le premier courant, l’un derrière l’autre sans oublier les bordures, le moindre petit contre courant, la moindre petite veine d’eau où nous avions déjà eu quelques succès, il avait fallu traverser pour remonter la rive gauche  à travers les taillis et les ronces qui labouraient nos mollets et prospecter une succession de calmes et de courants à découvert sous le soleil qui tapait dur, accompagnés par  le concert ininterrompu  des oiseaux qui s'en donnaient à coeur joie dans cette zone  peu hospitalière  moins  visitée que le reste du parcours….où la pêche  était souvent productive……souvent mais pas toujours..en tous cas pas aujourd’hui !!

 

                                                                  

 

 

Passées les difficultés, les mollets griffés, les joues en feu, nous arrivions au premier trou où la rivière s’élargissait en un coude profond, bordée d’herbe grasse remplaçant les taillis et les ronces avec en face une bordure de roseaux le long de laquelle nous avions déjà pris plusieurs brochets !!

 

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  L’heure du casse croûte était arrivée.. ! Assis sur la berge côte à côte, en silence, face à la rivière où se noyaient nos regards, les pieds au ras de l’eau, nous mastiquions consciencieusement un énorme sandwich arrosé de rasades de limonade devenue tiède, avant d’engloutir notre pomme,… sans savoir que c’était ici que nous allumerions bientôt nos premières cigarettes…... Nous ignorions alors également  que ces instants magiques ne quitteraient plus jamais nos mémoires ….malgré les années…. que ces sandwichs indigestes ne pourraient être effacés de notre souvenir par aucun festin  et que ces gorgées de  limonade tiède  n’auraient jamais d’équivalent parmi les meilleurs crus qu’il nous serait donné de déguster….!!

                                                                                                          

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Repus et à nouveau pleins de courage, c’était reparti….et Philippe 20 m en amont mit au sec un beau  brochet …..j’étais toujours bredouille… !

 

                                                                                              

 

  En remontant derrière lui, je peignais le trou qu’il avait négligé  et enfin je sentis la touche….Je pensais sortir un brochet comme souvent le long de ces roseaux mais….c’est une très grosse perche qui s’était prise à ma cuillère jaune à points rouge  !Une perche !! c’était la première que je prenais en rivière ici mais..il faut dire que nous avions l’un et l’autre ramené de l’étang du Docteur Causeret dans lequel nous avions fait quelques parties avec Alain son fils, des petites perches et des carpillons destinés en principe à nos aquariums, que nous avions chacun, en secret l’un de l’autre, et en contravention avec tous les règlements que nous ignorions superbement, remis à l’eau  dans cette rivière…….mais c’est une autre histoire…cette perche était elle une de celles que nous avions implantées quelques années auparavant ??…C’est probable…tout comme les grosses carpes que nous avions repérées quelques années après avoir introduit des carpillons dans le trou près de l’ancienne passerelle… !?

 

                                                                                                                                     

 

Je n’étais plus bredouille, mais une perche , même proche du kilo,  face à une belle  fario de plus de 35cm et un beau brochet … !!!Heureusement, elle eut bientôt pour compagnon un sifflet, brocheton qui faisait juste la maille, 42 cm … !

 

Suivirent à nouveau deux heures de prospection stérile le long de cette rive gauche à nouveau  de plus en plus accidentée et sauvage et alors que l’après midi déclinait, je rattrapai Philippe sur un lit de galets, juste au dessus d’un gros tronc qui barrait toute la rivière qui  se précipitait dessous en un très fort courant de moins de 4m de large… !

 

Ce fut l’occasion de sortir les poissons, de les contempler côte à côte alignés sur les cailloux…belle pêche .. une truite deux brochets, une grosse perche…mais j’aurais préféré prendre une truite et j’enviais Philippe avec sa belle fario !!

 

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Il fut décidé de poursuivre encore un peu, Phlippe désirait  pêcher le calme  à l’amont du fort courant auprès duquel nous nous étions arrêtés, et je le laissai remonter d’une vingtaine de mètres avant de me relever paresseusement sans avoir le courage de le suivre !

 

Indécis, je balançai sans conviction ma cuillère devant moi, un peu trop fort, et elle alla atterrir  sur les graviers de la berge d’en face .. ! Un petit coup de poignet la remit à l’eau et il fallut mouliner à toute vitesse pour éviter que, entraînée par le courant, elle n’aille s’enfiler sous le tronc où je l’aurais irrémédiablement perdue……

                                                                                      

 

elle   ramassa  d’ailleurs  un lourd  bout de bois qui,  par la simple force du courant, décrivit,  au bout du fil tendu par ma canne pliée en deux,  un arc de cercle pour le traverser  d’un trait et venir s’échouer sur les galets  3m plus bas que moi….où je constatai que ce  bout de bois avait une queue, des points rouge et noirs et la tête d’une énorme fario que je décrochai fébrile avant  d’appeler Philippe qui me tournait le dos et n’avait rien vu ! Il redescendit voir « la bête », elle était  deux fois plus grosse que la sienne …. !

 

                                                                               

 

Le retour fut joyeux, la descente du parcours  si long à l’aller parut très courte, les vélos récupérés et le pré traversé alors que les vaches étaient rentrées à la ferme tandis que le jour déclinait !

 

Il y avait encore une heure de vélo avant d’arriver au crépuscule au magasin de ma mère, de sortir la balance de cuisine, de peser la truite de Philippe : 500g, son brochet 1kg, le mien 500g, ma perche 800g et ma grosse fario….960 grammes, presque le kilo….et de faire le tour des voisins pour les faire profiter du spectacle……que moi, en tous cas, je ne suis pas près d’oublier… !

 

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Et toi, Philippe…tu te souviens, n’est ce pas …de cette  journée, la seule où j’ai pris plus de poisson que toi…alors que nous avons si souvent  pêché ensemble avant que tu n’ailles bien trop tôt, foutue manie d’être toujours devant,  voir dans l’au-delà si les rivières y étaient  aussi poissonneuses que celles de notre enfance, et la limonade tiède aussi délicieusement désaltérante qu'au bord du Breuchin !?

 

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