La femme-truite

(L'espace d'un regard)

Bah, avoue-le, va .....

....depuis que tu l'as aperçue se dandinant gracieusement dans sa robe delicate tu ne penses plus qu'à elle.

Tu sais, il n'y a pas de honte à ça, nous tous sommes passés par-là. Peut-être même, goujat, as-tu cherché à parler d'elle à la femme de ta vie. Peut-être même as-tu cherché à évoquer sa beauté sans avoir l'air de t'y intéresser... Et puis, tes mots ne trouvant d'écho, tu t'es tu, déçu mais, tu le sais, continuer aurait été incongru.

Tu la revois ce matin-là, gracile et se jouant des rayons du soleil, progressant de proche en proche, souple et élancée, s'offrant à la vue de tous, attisant ton désir. Vos regards se sont croisés, elle t'a vu l'observer, sois en sûr. Tu ne l'as plus oubliée.

Toute la journée tu as cherché à la croiser à nouveau, bien décidé à tenter de la séduire. Après tout, pourquoi n'aurais-tu pas ta chance ? Ce soir, enfin, elle est devant toi, alanguie au milieu du lit. Tu trembles et ce n'est pas de froid. Reprends-toi ! Prudent, à pas feutrés, tu t'avances alors, doucement pour te couler au plus près d'elle sans qu'elle ne s'en offusque. Elle est farouche, tu le sais. Tu hésites à avancer davantage et toujours ce corps qui attise ton émoi. Sa bouche lipue semble n'attendre que toi. Son lent va-et-vient, ses mouvements de reins te mettent dans tous tes états. Tu la veux, tu la désires, rien ne pourrait te faire plus plaisir que de laisser courir tes doigts sur ses courbes délicates.

Soie étirée, nylon arachnéen et talon haut sont de mise. Le reste, grossier, n'aurait pas de prise. Tu as perdu toute notion du temps, onze heures, treize heures, tu ne sais même plus.

Du mieux que tu le peux tu lui dessines des arabesques enchanteresses sur l'horloge du ciel. Tu t'imagines la posséder déjà. Pourtant, toujours elle se refuse et jamais ne s'offre à toi. Une fois encore tu tentes de la convaincre de s'alonger sur ta main, de te laisser la couvrir de caresses, qu'elle te pose sur les doigts son parfum délicat. Tu t'adresses à elle, tu lui parles, tu lui murmures de, preste, la dégrafer pour la voir s'enfoncer d'un coup de rein. Rien n'y fait. Sans impatience elle reste maîtresse des ébats, t'observe et se joue de toi, ne sachant que trop bien que si elle te cède tu en désireras une autre.

Ne vois-tu pas que ton insistance l'importune ? Elle n'est pas faite pour toi. Tu t'en retournes, alors, te consoler dans les bras de ta moitié.

 

                                                                                                                       Yves Deschuyter