Jean-Christian Michel :

Petit dictionnaire philosophique du pêcheur de truites en pédalo

(Quai des plumes-mars 2013)

 

**********************

 

                                           

Le livre :

il est présenté sous la forme d'un "dictionnaire"  dont la suite de l'alphabet sert de prétexte

*a l'a sélection de certains mots choisis pour écrire à leur sujet de courts chapitres qui traitent aussi bien en A de l'ablette que de" l' abysse d'eau douce sans personnalité qu'est le barrage transformant le milieu aquatique en désert hydroélectrique"...

*avant de développer avec humour la description de la cabane du pêcheur ..... puis de sa femme, ordre alphabétique oblige, comparée à celle de Néandertal....

*Suivent quelques anecdotes de captures homériques de poissons de légende, le tout dans un contexte omniprésent de réflexions philosophiques sur le pêcheur et la pêche, plus "façon d'être" que "activité" , et de multiples diatribes à l'encontre :

*des "viandards"avides "de bassines" ,

"Chez-nous, de toute éternité, le rendez-vous est fixé au sacro-saint deuxième samedi de mars. Le land-art tourne au viande-art : à chacun sa façon de vivre avec son temps ! La réussite est garantie pour tout le monde et quel que soit le niveau du pêcheur, mais à deux conditions : avoir repéré la veille si le camion de la pisciculture a vidé sa cargaison de viande à nageoires, et être au bord de l'eau avant le lever du jour … Car deux heures après il sera trop tard ! On ne cueille pas les pâquerettes après Attila ! Et de toute façon, les pâquerettes en question fanent très vite ! Peut-être faudrait-il leur ajouter quelques conservateurs ? N'ayez crainte : les généticiens y travaillent certainement".

*des méfaits d'EDF , des excès de l'irrigation mal conduite, de l'insuffisance de l'épuration ayant abouti à des rivières Françaises moribondes dans l'indifférence des décideurs.....

" si les hommes assèchent la rivière pour irriguer leur précieux maïs, elle crèvera dans une flaque.Si un Raboliot l'attrape, elle finira dans une poêle. Si les rejets de la station d'épuration empoisonnent et colmatent le fond de la rivière, elle disparaîtra aussi. C'est tout cela une vie de truite....."

Une hypothèse farfalue envisage alors avec humour la migration sur terre des poissons dont l'habitat aquatique aura disparu, et c'est ainsi que

le brochet deviendrait "banquier avec des dents de belle mère",
le Gardon un français moyen,
la perche...Sophie Marceau avec un "perfecto",
le barbeau un chic type fringué comme un as de pique,
l'ablette une joggeuse d'argent...."

 

L'auteur:

Pêcheur à la mouche, apiculteur et phiolosophe comme précisé sur le quatrième de couverture...mais également écrivain de talent passionné de pêche, ulcéré par la dégradation des rivières de par l'activité humaine , et doué d'un humour décapant qui n'efface pas pour autant son désespoir face au désastre !

 

Mon opinion :

"Il y en a pour tout le monde" et la présentation permet à chacun de choisir sa lecture en fonction de l'humeur du moment.....mais même dans les considérations philosophiques omniprésentes autour de la pêche et des pêcheurs, il est difficile d'échapper aux tristes vérités qui ponctuent tout de l'ouvrage, heureusement largement agrémenté par des chapitres plus "rieurs"

A lire lentement et à savourer..!

**************************

Extrait

" C e n'était pas une mais deux truites qui faisaient la ronde. Quand je dis truite, je veux dire vraiment truite : deux poissons de largement plus de soixante-cinq centimètres. Le bécard avait empoigné la femelle entre l'adipeuse et la caudale et il la promenait doucement en la tenant avec sa gueule. l.'autre se laissait faire. Lorsqu'elle se recourbait vers lui, ils s'enroulaient et tournaient, tournaient coimme si les formes de leur corps voulaient se fondre. Quand sa partenaire se redressait, le bécard l'emportait lentement vers la surface, comme pour la pousser hors de l'eau à la façon d'un dauphin, certainement afin qu'elle s'incline à nouveau vers lui et que leur ronde reprenne.
Ces deux êtres flottaient dans un rêve de truite. La gueule n'était plus une gueule mais une main et le léger mordillement une caresse. Tout se faisait avec une infinie précaution, presque avec douceur. J'ai alors compris qu'une gueule de truite ce n'est pas seulement fait pour manger mais également pour toucher... Peut-être le début de la sensibilité et d'un sentiment.
Les truites tournaient et moi je restais immobile sur la berge et je ne savais pas si j'étais en proie à une hallucination ou si les farios avaient pour désir secret de m'initier aux mystères de la Nature. Je crois qu'elles m'ont communiqué leur vertige. Par chance, il n'y avait pas de petits lapins roses pour mettre un point final aux doutes sur ma lucidité... Mais il ne me semblait pas incongru qu'elles se mettent à parler, comme si par le seul fait de les voir nous étions désormais unis dans un verbe commun. Et avec une douceur extrême le bécard a ouvert sa gueule blanche. Pas pour me dire ce qu'il fallait en penser, mais pour rendre la liberté à celle qui se garda bien de fuir pour la bonne raison qu'elle n'était pas une proie mais une partenaire et que leur ronde n'était pas une lutte mais une danse. La femelle ondulait maintenant devant lui en s'inclinant pour le regarder et pour l'inciter à pousser un peu plus loin leur jeu... ........
Voir deux truites de cette taille était déjà inattendu. Mais le surnaturel de l'affaire résidait dans la lenteur de leurs mouvements. Ce n'est pas à ce rythme que vivent les truites que je connais. Peu à peu je commençais à me dire que leur comportement ne devait rien à " l'instinct" et que dans cette parenthèse,j'avais devant moi deux êtres qui découvraient la liberté d'un tempo et d'un jeu les rapprochant de nous et les éloignant de l'animalité. .................
Craignant de fanchir la ligne mal définie du porno halieutique, je laissai mes truites à leurs caresses et à la pudeur du soir. .........

dans les coulisses de l'hiver, la ronde des truites pouvait durer mille ans.
Et d'ailleurs c'est peut-être ce qui s'est passé.. . l'ombre de la rivière s'est refermée sur leur secret"
.

*********************

Confidences d'une truite près d'un pont

(Quai des plumes-Janvier 2016)