Neil Patterson: Pêches de rêve-Sérénité

 

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Pour le pêcheur à la mouche posté, ou pour quiconque penché au-dessus d'un pont et qui n'a rien de mieux à faire que regarder, ce simple rond représente bien plus ; c'est une onde de choc. Pour m'aider à repérer la truite quand il fait très chaud l'été je triche un peu. J'ai des lunettes polarisantes et une paire de petites jumelles Zeiss 8 x 20, qui mesurent qu'une dizaine de centimètres. Je les interpose entre mes yeux et mes lunettes pour me protéger du soleil, et ça marche ! Cela me permet de confirmer tous les mouvements vagues ou lointaines, de mettre une forme sur une nageoire, de déterminer la taille approximative d'un poisson.

Un rond à peau argentée se forma, se glissa dans l'eau. Je reçus le signal alors que j'étais encore adossé au pont. Je savais où se trouvait la truite, mais j'ignorais quel était son poste, je ne le connaissais pas de façon assez précise. Ce pouvait être tout aussi bien en avant ou en arrière de cette branche qui touchait presque l'eau. Cela avait de l'importance, rien que pour calculer l'espérance de vie d'une pupe de moucheron que j'avais décidé d'appeler « jarretelle ».

Cette « jarretelle » comporte une minuscule bille d'Ethafoam emprisonnée dans un petit sac en bas de Nylon et ligaturé sur la hampe de l'hameçon. De cette façon, je m'assure que ma pupe dérive en suspension sous la pellicule superficielle, comme un lustre.

Au Beech Bridge, on peut avoir tous les problèmes devant soi – on en a pas derrière. Tant que vous demeurez au centre du pont, il y a toute la place souhaitée pour le lancer arrière. C'est là que le Cake Wood se jette dans la rivière principale. Votre lancer arrière s'ouvre au-dessus d'une étendue d'eau dégagée : c'est tout aussi bien, car, pour arriver jusqu'aux gladiateurs, qui s'échauffent sous les buissons, il faut que le lancer soit long – au minimum 15 m. Or une soie d'une telle longueur est sensible à la moindre brise.

L'une des truites se pointa à nouveau. J'entendis son crâne de pierre fendre la surface de l'eau, et son coup de bec avaler un peu d'air prohibé.

Je déployai une longue soie derrière moi. En tirant de la main gauche, je fis progresser toute la soie devenue aérienne. Je levai le bout de ma canne juste avant qu'elle n'arrive sur l'eau, et la soit tomba en dessinant un S prononcé afin d'éviter tout dragage. Dans l'obscurité, je distinguai un minuscule point blanc. Le périscope en Ethafoam avait fait surface. Le cap était mis, à cinq secondes de sa cible.

Je ne vis pas le moment où la truite goba. En revanche, je vis la jarretelle baisser son périscope et plonger. C'était le signal que je m'étais fixé pour considérer que le poisson, ou tout au moins un poisson, était pris. Le périscope reparut, cette fois dans un nuage d'écume, pour repiquer immédiatement comme une pierre. Le sous-marin au crâne métallique se dirigea vers les profondeurs, et vers les racines. Je me doutais que ce serait le premier départ en force du poisson, et en même temps le plus spectaculaire, et j'étais prêt à réagir.

Dès le contact établi, je m'éloignai du pont en marchant en crabe jusqu'à la berge, en pesant sur la ligne.

Avec une soie aussi tendue que me le permettaient mes 60 cm de Shockgum creux et flottant, je le tirai résolument jusqu'à la lumière et l'amenai à mes pieds. Un poisson sauvage, avec un dos vert bouteille éclaboussé d'une poignée de pois : c'était l'un des derniers d'une longue lignée d'une souche particulière sur cette rivière, un croisement entre les populations d'origine et les Loch Levens introduits dans ces eaux de quinze à vingt plus tôt.

Finalement, cela n'avait rien de surprenant que j'aie pris une truite. De la même façon qu'il était inévitable que, étant donné ma position statique, ce soit la truite qui se soit signalée la première à mon attention, et non l'inverse.