Plaidoyer pour la pêche à la mouche, la vraie… la sèche !! N’oubliez pas les « anciennes »… En mars2008, c’est sous ce titre que je vous faisais part du sentiment amer que je ressens lorsque j’observe les boîtes à mouches des nombre de mes contemporains. Les modèles anciens, certains diront les « classiques », y constituent la part congrue au profit de ce que j’ai de plus en plus de mal à nommer des «mouches artificielles ». Mais pourquoi diable ignorer à présent tout le fruit d’observations poussées, telles qu’exposées par Raymond Rocher et J.-P. Pequegnot dans leurs ouvrages reconnus, pour ne citer que ces deux auteurs ? Ces dernieres sont à la base d’imitations consacrées par tous comme reines des artificielles. La plupart des modèles délaissés sont des sèches, ce qui signifie tout simplement que la pêche en sèche n’a plus la cote, au profit du streamer et, surtout, de la nymphe lourde, deux techniques beaucoup plus agressives. Quant à la nymphe amont, elle est sur le point de rejoindre une autre technique que l’on peut considérer comme tombée en totale désuétude : la noyée. Quoi qu’on en dise, la mouche sèche est à l’origine de notre passion et reste le coeur de celle-ci. Et, non, il ne suffit pas de se cacher derrière une canne à mouche pour se parer du titre de pêcheur au fouet… La nymphe lourde : de la pêche à la mouche ? L’art de la pêche à la mouche n’est pas de prendre des poissons à tout prix. Il faut se remémorer qu’à la base, le but premier de cette technique était de tromper nos poissons de sport à l’aide de copies d’insectes pour certaines presque conformes à ce que produit la nature. Qu’en penser maintenant, lorsque l’on réalise que la débauche imaginative de certains produit des « leurres » qui n’ont plus de «mouches » que l’appellation? Il n’entre pas dans mes intentions de pourfendre le droit de chacun a déterminer son éthique en fonction du contexte dans lequel il se trouve. Prenons par exemple la pêche de compétition de haut niveau. Dans ce contexte, le compétiteur n’a souvent d’autre choix, s’il veut réussir, que de s’orienter vers les techniques plus agressives. Sa « mouche » doit descendre vite, plus vite que celle du voisin. Donc, il confectionne du « lourd » – heureusement pas toujours – et tellement lourd qu’il devient presque impossible de projeter le leurre à l’aide d’un lancer mouche (n’oublions pas que la soie à été inventée pour pouvoir propulser un leurre très léger). La pêche s’effectue alors sous la canne, souvent sans l’aide de la soie qui devient presque inutile. Peut-on encore parler de pêche à la mouche dans ce cas ? Je ne le pense pas. N’est-ce pas plutôt de la pêche au toc, technique honnie par tant de moucheurs justement parce qu’elle a, notamment, causé à certains moments des ravages dans les bancs d’ombres ? Pour ma part, je n’autoriserais ce type de pêche qu’aux compétiteurs et encore, je ne les laisserais pas pêcher n’importe où car, quoi qu’en pensent certains, la compétition, ça « abîme ». Attention : la compétition a sa raison d’être. Mais peut-elle encore se targuer d’être la vitrine de notre sport lorsqu’elle se limite à la nymphe sous la canne ? A l’image de notre monde moderne où compétition rime avec rendement, la pêche à la mouche s’éloigne dans ce cas précis de l’esprit des pères fondateurs de l’école classique. Déduisons-en que compétition ne rime pas avec récréation… Or, pour le commun des moucheurs, l’instant passé au bord de l’eau est à conjuguer avec « plaisir » et non avec «rendement ».Ne peut-on pas trouver étrange que certains, en pleine activité de délassement, ratent des instants magiques, en ayant leurs yeux rivés sur la pointe de leur bas de ligne ou, carrément, leur indicateur de touches ? Pendant ce temps, furtivement, une merveille ailée passe àportée d’une splendide mouchetée qui, dans un gobage discret, s’empare de cette proie de choix, laquelle aurait tout aussi bien pu être une splendide « Panama » ou une « Altière » déposée avec douceur à cet endroit précis. Cette scène fantastique peut se répéter tout au long de la journée à l’insu du pêcheur concentré sur ses critères de rentabilité. Bien entendu, loin de moi l’idée de dénigrer les possibilités offertes par les matériaux modernes. Entre autres parce que certains cadrent parfaitement avec le souci de préservation des espèces animales sensibles dont font preuve certains pêcheurs, heureusement de plus en plus nombreux. Ainsi la fourrure de bébé phoque, remplacée par un équivalent artificiel tout aussi efficace. Ou encore, au grand dam des défenseurs de Bambi, le poil de cervidé, certes beaucoup moins moderne, en surabondance, permet d’éviter l’emploi de plumes de volatiles plus précieux.
Et la nymphe amont ? La nymphe amont, ce n’est pas de la sèche, c’est vrai, mais il faut rappeler que, dans l’esprit de Saywer, cette technique était sensée être utilisée comme un ersatz de pêche en sèche ! Dans ce contexte, les artificielles bien connues telles que la « Pheasant tail» ou la « Hare’s hear » (oreille de lièvre) représentaient le summum de l’art imitatif en matière de larves dérivantes. Cette conception de l’imitation parfaite de la nymphe n’a rien en commun avec les artificielles brillantes, « flashantes » et sur-lestées qui, aujourd’hui, ont pour but de dérouter les poissons, de susciter un réflexe d’agressivité même chez un poisson au repos et non plus de provoquer le déplacement naturel du poisson en quête de nourriture. Pour en revenir à Saywer qui, entre nous, n’a rien inventé mais a eu le mérite d’affiner une technique plus ancestrale, il a donc cherché à comprendre le cycle de vie de l’éphémère et a contribué à mettre au point une technique digne des parcours élitistes dont il avait la garde à l’époque. Cette technique n’a jamais été perçue comme offensante par les propriétaires des célèbres parcours sur l’Iton, dignes héritiers spirituels de Frédéric Halford. Donc, pour bien exprimer la différence entre cette douce conception de la nymphe comparée aux débauches de lourdeurs qui prévalent actuellement, j’assimilerais la nymphe type Saywer à un ballet de Béjart et la nymphe lourde à une partie de pétanque. Je précise immédiatement que je n’ai pas d’a priori par rapport à ce jeu populaire... Dans l’article précédent, je citais des leurres fantaisistes de toutes les couleurs, des boites de nymphes de quasi 2 kilos qui ont l’unique avantage de garder sur place un pêcheur tombé à l’eau : celui-ci ne sera pas emporté par le courant, vous le trouverez sous la boite…!
Il n’y pas de gobages ? Provoquez-les ! Je sais ce que vous pensez : « Sylvain De Angeli semble ne pas avoir compris que si les pêcheurs pratiquent si peu en sèche et tellement en nymphe lourde, c’est parce qu’il n’y a plus d’éclosion et, donc, que les poissons ne montent plus en surface… » Je vous rassure tout de suite : je connais très bien la situation actuelle de nos rivières et je sais d’où l’on vient. Pour ceux qui l’ignoreraient, voilà plus de 40ans que je pêche à la mouche. S’il est vrai que les éclosions actuelles n’ont rien en commun avec les éclosions massives d’autrefois, un « autrefois » pas si lointain d’ailleurs, il n’en demeure pas moins qu’il y en a encore. Et puis, même en l’absence d’éclosion, il est tout à fait possible de faire monter une truite ou un ombre sur une sèche. Pensez vous réellement que 50 ans d’absence d’éclosion massive ou même 100 suffiraient à effacer ce comportement de nos poissons– inscrit dans leurs gènes – qui consiste à se saisir d’une proie qui dérive en surface ?Allons donc…
Le choix de la bonne artificielle: Tout un pan de la pêche à la mouche que la nymphe lourde élude. Oui mais voilà, pour provoquer la montée d’un poisson qui se saisisse d’une mouche, encore faut-il effectuer le choix de la bonne artificielle. Et c’est justement ce que je reproche aussi à la pêche en nymphe lourde : le choix du modèle n’a pour ainsi dire aucune importance, pourvu que cela coule vite. Ainsi, outre qu’au niveau de la technique elle se passe du lancer mouche au point que certains « moucheurs » actuels sont incapables d’effectuer un tel lancer, la nymphe lourde occulte complètement ce pan entier de la pêche à la mouche qu’est le choix de la bonne imitation: « C’est plus facile » me direz-vous. Oui, peut-être, mais alors, dans cette technique, que reste-t-il que l’on pourrait encore qualifier de pêche à la mouche ? Et si les poissons ne montent pas sur une sèche, la pêche à la mouche offre d’autres possibilités que la nymphe lourde pour tirer son épingle du jeu, possibilités qui cadrent parfaitement avec un certain respect du poisson dans la mesure où elles s’adressent à des poissons qui se nourrissent et non pas à des poissons au repos que l’on « embête » avec des fers à repasser que l’on fait passer et repasser ( !) devant leur gueule jusqu’à provoquer chez eux un coup de gueule rageur. Je fais bien entendu allusion à la pêche en émergente, qu’il s’agisse de « presque sèches » dérivant dans le film de l’eau ou de «plus tout à fait nymphes » dérivant sous le film de l’eau, collées juste sous la surface, et à la pêche en nymphe amont si chère à Saywer. Pour certains pêcheurs, rien de tout cela. Sans même prendre le temps d’observerla rivière, ils optent directement pour la nymphe lourde. Bien entendu, je m’y suis essayé avec ces pavés et il est incontestable que c’est du rendement, pas de la pêche. Cette façon de prendre ne m’honore en aucune façon et ne m’apporteaucune satisfaction. Il y a bien sûr des cas où les pêches agressives s’imposent d’emblée. Mais ils sont rares et, à vrai dire, je n’en connais personnellement qu’un seul : la pêche du huchon. : pour cette espèce, seule la nymphe lourde ou le streamer conviennent. Vous aurez autant de chances de prendre ce bestiau en sèche qu’en lui présentant une paire de pantoufles… Vous avez dit respect ? Les moucheurs se targuent souvent de respecter les rivières et leurs habitants. Oui mais voilà, ce respect ne se limite pas à la pratique du no-kill. Il y a aussi la manière. Peut-on parler de respect lorsque’on pousse un poisson à se jeter sur une nymphe par agressivité ? Peut-on parler de respect lorsque l’on ratisse une même fosse jusqu’à en sortir le dernier ombre de cette manière ? J’en suis sûr, nos parcours gagneraient en qualité si cette technique, certes efficace mais ravageuse, était moins pratiquée. Bien entendu, le nombre de prises s’en ressentirait. Et alors ? Au XXIème siècle, a-t-on besoin de sortir 100 poissons pour passer une bonne journée ? N’est-on pas heureux avec 10 ou 15 prises ? Et avec 3, on change de sport ? Si oui, c’est que vous vous êtes trompé de sport ! Pour conclure Croyez-moi , on passe de bien meilleurs moments à finasser et à ruser en sèche et autres imitations très légères qu’en « bombardant » une même fosse durant 2 heures. Ne vous privez pas de cette satisfaction que l’on ressent après avoir leurré un poisson actif : celle de se sentir en harmonie avec le milieu parce que l’on a vu juste et parce que l’on a devant soi un poisson «coopérant ». Mon rêve ? Voir un jour naître chez nous des parcours exclusivement réservés à la sèche. Oh, oui, comme j’aspire à voir naître des pancartes comportant les indications suivantes : MOUCHE SECHE UNIQUEMENT !
S. De Angeli
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