La "Grosse" de Severin....
......................malgré ses yeux habitués à percer les eaux, il lui faudrait plus de lumière pour savoir si c'était "sa"truite.
Il descendit lentement la berge, et se glissa doucement sans faire de vaguelettes dans l'eau. Nouveau rond. Il ne voyait toujours pas, mais celui-là était sur le trajet habituel de la grosse truite. Il y avait d'autres gobages mais il ne voyait aucune mouche. Le jour se leva tout doucement, et il vit que c'était bien la grosse truite qui était dehors. De temps en temps elle gobait, parfois il apercevait seulement sa dorsale qui effleurait la surface. Au fur et à mesure que le jour augmentait, il avait I'impression que la truite s'activait de plus en plus, en surface, sous la surface, avec des remous de plus en plus gros. Il ne voyait aucune mouche, mais d'autres gobages le long du bord, après le petit ruisseau des carrières qui crachait une eau toute jaune. Dire que la veille il n'y avait plus qu'un filet d'eau ! La truite gobait enfin, et il ne savait pas quelle imitation accrocher au bout de son bas de ligne. Garder son calme et observer, ne plus regarder le poisson mais l'eau et les insectes en surface! Séverin se concentra sur la surface de la rivière, mais le jour naissant ne facilitait pas les choses. la truite goba une nouvelle fois, violemment. Incroyable- Il y avait quelque chose d'anormal. Elle ne prenait pas des mouches, jamais il ne l'avait vue aussi active. Mais il savait aussi que ça n'allait pas durer. Il fallait qu'il trouve- Il n'allait pas se laisser berner une fois de plus par cette masse de muscles qui ne fonctionne qu'à l'instinct.
Il mit ses deux mains en travers du courant pour essayer de capturer des mouches, et c'est alors qu'il vit une sauterelle s'accrocher sur sa paume. Puis une autre. Des sauterelles. Bien sur, la pluie les avait fait sortir et les avait entraînées dans le ruisseau qui les déversait dans la rivière et la truite, vivifiée par l'eau rafraîchie se gavait des sauterelles qui dérivaient sous l'eau et sur l'eau, certaines mortes, d'autres se débattant encore. Des sauterelles ! Il avait au moins deux cents mouches artificielles sur lui mais aucune imitation de sauterelles. Cette truite était diabolique, elle n'était dans cette rivière que pour le tourmenter. Impossible de rentrer chez lui monter une imitation de sauterelle, lorsqu'il reviendrait le soleil serait trop haut. Et une telle occasion n'était pas près de se représenter. C'était peut-être sa dernière chance de prendre cette truite, qu'il pistait depuis plus d'un an.
Le démarrage ne fut pas foudroyant mais puissant et irrésistible, la truite se dirigea vers la faille, mais cette fois Séverin avait tout prévu. la canne pliée à l'extrême, le f,l tendu à la limite de la rupture, il s'avança pour se placer entre la faille et la truite en faisantle plus de bruit possible. Dans I'eau jusqu'aux aisselles, les waders se remplissant rapidement, il avait du mal à maintenir son équilibre mais la truite changea brutalement de direction et se mit à remonter le courant. Séverin lâcha du fil, il n'y avait pas d'obstacle, il pouvait la laisser partir en la retenant le plus possible. Elle se fatiguerait plus vite dans un courant. Mais cela elle le savait, elle fit demi-tour et revint droit sur Séverin. I1 n'eut pas le temps de rembobiner sa soie qui se détendit d'un coup. Pendant quelques secondes il ne sentit plus le contact avec le poisson. Elle va se décrocher, pensa-t-il, d'autant plus que maintenant il ne savait plus dans quelle direction elle se dirigeait. Il moulinait comme un fou pour savoir si la truite était encore au bout. A son grand soulagement, un grand coup de tête courba sa canne : elle étaittoujours accrochée !Mais cette fois elle était derrière lui et elle descendait le courant à pleine vitesse. I1 se retourna trop brusquement, fut aveuglé par un rayon de soleil en pleine flgure, et le wader rempli d'eau acheva de le déséquilibrer. Il tomba sur le côté, les deux mains tendant la canne p1iée en deux au-dessus de la surface. Un spectateur n'aurait pu savoir qui de la truite ou de l'homme était pêché ! Il nagea comme il pu pour sortir du trou, presque aidé par la truite qui continuait de tirer, vingt-cinq mètres plus bas. Dès qu'il sentit le fond sous ses pieds il sortit de l'eau et se mit à courir pour suivre ce diabolique poisson. Au moins cette fois il était sûr qu'elle était bien accrochée. I1 dévala cent mètres de gravière à la poursuite de la truite qui ne semblait pas faiblir. Heureusement il n'y avait pas d'obstacle où elle aurait pu se réfugier. Il savait qu'elle se dirigeait vers le grand profond plus en ava1, parsemé d'énormes rochers. I1 tenta encore une fois de la retenir mais elle se mit à cabrioler dans le courant peu profond, et, de peur de la décrocher, il la laissa descendrè' Il pourrait la déséquilibrer plus facilement dans l'eau plus calme et elle allait bien finir par se fatiguer. Arrivée
dans l'eau profonde, elle fonça vers les rochers et Séverin était cette fois obligé
de jouer le tout pour le tout et de la bloquer, ilcoucha sa canne etattrapa las oie
de la main gauche, sentit une traction puissante suivie d'un formidable coup de
tête: le fil pouvait casser, s'inquiéta Séverin, ou la canne se rompre, ou l'hameçon
s'ouwir. Si tout cela tenait, elle serait à lui. peut-être. La truite à son tour
déséquilibrée se mit à tourner en donnant de puissants coups de tête, mais elle
n'avait plus 1a force de partir en ligne droite vers les rochers qui l'auraient
sauvée. Séverin rentra dans I'eau, s'avança vers elle mais elle réussit encore
à lui prendre du fil, elle faiblissait, blanchissait, mais impossible pour Séverin
de l'approcher à moins d'une dizaine de mètres sans déclencher un rush furieux,
mettant à l'épreuve son bas de ligne, qui devait commencer à fatiguer lui aussi'
Le combat s'équilibra, comme si les deux adversaires s'observaient, la truite
décrivant de grands cercles tandis que Séverin avait renoncé à l'approcher. Ce11e-1à, y avait que toi pour la prendre Séverin Ménigoz !"
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